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mercredi 2 avril 2014

Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt...



La virulence contre les journalistes ne fait pas une politique
 «On n’attaque pas la presse», disait François Mitterrand, qui dénonça tout de même les «chiens». Ces jours-ci on attaque beaucoup la presse. Depuis la dernière campagne présidentielle, et plus encore depuis quelques semaines avec les «affaires», on lui assène des coups verbaux avec une violence inédite. Nicolas Sarkozy, dans sa tribune au Figaro, s’emporte contre «les milliers d’articles rédigés à charge» contre lui, une «boue complaisamment répandue». A droite, c’est une litanie d’accusations. Jean-François Copé dénonce les «Tartuffes bouffis d’orgueil», Rachida Dati les «vrais tocards». Pas tous, mais quand même. N’en jetez plus…
La campagne pour les élections municipales a donné lieu à des attaques en règle qui traduisent une curieuse conception de la démocratie. A l’extrême droite, Marine Le Pen invective Canal + : des «bobos horribles, pleins de morgue». A Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet accuse une journaliste du Monde d’être «la 21e tête de liste du PS». Nicolas Dupont-Aignan accuse untel d’être «une merde intégrale». Le dirigeant du Parti de gauche Jean-Luc Mélenchon lance sur son blog un appel à la vindicte : «N’ayez aucun scrupule à dire très haut ce que vous pensez de cette caste partout où vous le pouvez, de manière à créer une ambiance qui leur soit partout contraire et méprisante. Et consolez-vous : ils ne valent pas plus cher.» Faut-il se féliciter de ce que les femmes et les hommes politiques se libèrent, cessant ainsi d’être les «valets des journalistes», selon l’expression de Régis Debray ? L’on pourrait répondre «oui». Oui, la médiacratie est une forme dégénérée de la démocratie. Oui, les journalistes ne sauraient s’étonner des retours de bâtons s’ils s’érigent en «cléricature», en tribunal du bien et du mal, voire en tribunal tout court. Oui il arrive que la prétention, la mauvaise foi, l’absence de rigueur et les «emballements médiatiques» agacent les responsables politiques, les citoyens et jusqu’aux journalistes eux-mêmes, loin d’être aveuglés par un supposé corporatisme…
Comme tous les citoyens, les politiques sont fondés à critiquer la «presse». Pendant longtemps, en dehors des cercles restreints de l’université ou de la «critique médias», cette «fonction sociale» qu’est le journalisme échappait au discours politique, comme s’il s’agissait d’un exercice neutre, hors du champ de la contestation. On peut se réjouir que les questions du pluralisme, de l’indépendance du journalisme, et pourquoi pas de sa qualité, sa pertinence, redeviennent d’intérêt public. Sauf qu’à quelques exceptions près les responsables politiques ne prennent pas d’initiatives pour que la France se retrouve à une meilleure place que la 39e, qu’elle occupe au classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières.
La vitupération traduit-elle une exigence pour le journalisme ou représente-elle un danger ? Quiconque ne se reconnaît pas dans un discours journalistique, dans une présentation de faits, préfère tomber dans l’insulte ou le mépris. On ne saurait ignorer la haine montante de l’altérité, le dégoût croissant des représentations contraires, des sentiments nourris par de trop nombreux Français sur lesquels les politiques auraient tort de souffler. Même les deux journalistes de RFI tués à Kidal dans l’ouest du Mali en novembre 2013 ont fait l’objet de jugements lapidaires fréquents. «Ils seraient restés chez eux à s’occuper de leur cul, cela ne serait pas arrivé», écrivait un aimable lecteur sur le site de Sud-Ouest, à l’unisson d’autres gracieusetés.
Ne nous trompons pas. Nonobstant leur caractère «trop humain», nombre de journalistes font preuve d’une indépendance d’esprit, d’une curiosité et d’une intégrité intellectuelle très supérieure à nombre de ceux qui les critiquent. Ceux qui s’attachent à traquer les débordements journalistiques peuvent-ils reconnaître que les rédactions sont remplies de journalistes qui collectent et rapportent les informations en se fondant sur une «subjectivité désintéressée» ? S’attacher à dévoiler et comprendre le réel, avec honnêteté et doute, est un facteur d’apaisement. Il serait pertinent que les politiques fassent preuve d’un sens de la «complexité» et, plutôt que s’attacher à des polémiques fugaces, à des déclarations démagogiques, nous donnent matière à réfléchir et débattre sur la divergence des intérêts et sur la nécessité de leur juste et libre représentation.
Ce climat de dénonciation est attentatoire à la liberté de la presse, en ce qu’il procède de l’intimidation. Pour sortir d’un système de «servitude réciproque», il est urgent d’en finir avec le mélange des genres et que chacun fasse son travail. Celui des journalistes consiste à rapporter des faits. Celui des responsables politiques est de nous préparer un monde correspondant le plus possible à nos choix collectifs.
Or que serait un monde sans journalistes ? Un paradis débarrassé de prismes inutiles ? A l’évidence, ce serait tout au contraire un monde saturé de messages de communication, de propagande, envoyés par des structures publiques et privées, parfois des individus, sans qu’il soit possible de distinguer le vrai du faux, la manipulation de l’information imparfaite mais honnête. Les journalistes ne sont pas toujours à la hauteur de l’idéal, peut-être, mais lorsqu’on leur tape trop fort dessus, quand on porte atteinte à la confiance dans une fonction sociale en soi, on restreint les libertés de tous les citoyens.
Christophe DELOIRE Secrétaire général de Reporters sans frontières

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