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mardi 11 mars 2014

Un être humain, pour quoi faire ?



Roger-Pol Droit : un être humain, pour quoi faire ?
Depuis ses premiers articles, Roger-Pol Droit ne cesse d’interroger l’humain, sa singularité, ses motivations, les rouages qui le conduisent à mener des actions engagées, courageuses, dignes ou, au contraire, à violer les droits des autres hommes. Une démarche qui pousse le journaliste-écrivain-philosophe à se frotter également sans concession à ce qu’il est lui-même, afin de ne pas risquer d’enfermer sa pensée dans des concepts qui pourraient emprisonner sa soif de comprendre et son désir de liberté intérieure.
Cette quête, Roger-Pol Droit la poursuit dans son dernier livre, Si je n’avais plus qu’une heure à vivre. Le propos, épuré, invite à se demander à sa suite, page après page, “quels actes accomplir ? Que penser, éprouver, vouloir ? Quelle trace laisser… si je devais mourir dans une heure précisément ? Que représente le mystère de cet arrêt, de ce qu’il y a au-delà ?” Chacun y répondra selon son histoire, bien sûr, mais mettre sa vie en perspective, prendre le temps de la réflexion, poser des actes avant qu’il ne soit trop tard… peut être une manière de répondre à cette question : à quoi sert une vie humaine ?
“C’est un livre sur la vie et non sur la mort”

MCD : À quoi sert fondamentalement ce type d’exercice ? À découvrir qui on est vraiment ? Cela peut sembler bien dérisoire, voire un peu puéril, de s’y adonner tant que la mort n’est pas là, de manière certaine…
Roger-Pol Droit : Non, ce n’est ni dérisoire ni puéril, car il n’est évidemment pas question d’attendre notre dernière heure pour réfléchir au fait que nous sommes mortels, et encore moins pour en tirer les conséquences ! Si j’imagine ce dispositif, c’est donc comme une expérience de pensée qui nous permet de nous confronter à l’essentiel, à ce qui compte le plus dans la vie, pour chacun d’entre nous. C’est donc un livre sur la vie, et non sur la mort. Je crois en effet que, pour découvrir ce qui est essentiel, il faut nécessairement se confronter à l’idée de la mort. Sans cette prise de conscience de notre finitude, nous ne pourrions pas être véritablement humains.
- Vous dites que ce livre est une forme de transmission à votre fille. Mais, ce qui compte, pour les enfants, ce sont d’abord les actes, pas les mots, même ceux écrits avec talent…
Vous avez raison, mais seulement quand il s’agit de jeunes enfants. Ma fille aura bientôt 27 ans, c’est une femme, une adulte. C’est pourquoi rassembler quelques mots et quelques idées à son intention – et aussi pour tous les lecteurs qui le voudront – n’est pas absurde. Je peux préciser comment est né ce livre. Ma fille faisait un long tour du monde avec son compagnon, je n’avais de ses nouvelles que de temps à autre, quand elle pouvait se connecter. Un jour, j’ai songé qu’elle ne saurait pas forcément, s’il m’arrivait un accident, ce que la vie m’a appris. En effet, j’ai publié près de 50 volumes et beaucoup de livres différents, des ouvrages de recherche sur le bouddhisme et sa découverte par les Européens, des livres d’initiation à la philosophie, des textes plus ludiques et poétiques comme les 101 expériences de philosophie quotidienne, mais je n’avais jamais rassemblé en quelques pages, de manière condensée, l’essentiel de ce que je crois. Alors, j’ai imaginé que je n’aurais qu’une heure, et qu’il faut dire, vite et net, le plus important.
- Le rythme de votre écriture, une seule longue phrase du début à la fin du livre, semble suivre votre souffle. Est-ce pour vous aider à aller, vraiment, à l’essentiel ?
J’ai voulu que l’écriture suive le rythme des émotions, des pensées, des idées. Si je n’avais plus qu’une heure à vivre, je me ficherais pas mal de savoir si ce que j’écris est de la philosophie, de la poésie ou de la littérature… Je me sentirais vraiment libre de faire comme bon me semble. C’est cette liberté de ton que j’ai tenté, le plus possible, d’atteindre. Je rêverais d’écrire comme on joue du jazz, comme un solo de saxophone, avec tantôt des notes rauques, tantôt des accents plus doux, en changeant de tempo, de tessiture, de timbre. Il me semble que la pensée et son expression sont indissociables.
“Le regret est une catégorie dont je n’ai pas l’usage”
- C’est quoi, une vie d’homme réussie ? Ce n’est pas forcément une vie “aseptisée”, sans erreurs…
Il me semble que c’est une vie qui assume de ne pas tout savoir, ni tout maîtriser. Qui accepte aussi de voir le monde comme le jeu sans fin de forces opposées (amour et haine, bonheur et malheur, paix et guerre, silence et bruit, jour et nuit, etc.). Notre erreur la plus répandue, mais aussi la plus grave, à mes yeux, est de croire qu’il serait possible de n’être que dans l’amour, le bonheur, la paix, etc. Nous devons nous y efforcer, mais je suis convaincu qu’un monde sans négatif est impossible. On peut diminuer la haine, le malheur, la guerre, etc. – et bien sûr on doit s’y efforcer – mais on doit aussi savoir qu’il est illusoire de songer à les éradiquer totalement.
- Avez-vous des regrets ?
Non, pas vraiment. Comment dire ? J’ai évidemment raté certaines choses, comme tout le monde, et j’en ai réussi d’autres. Mais le regret est une catégorie dont je n’ai pas l’usage. Il me semble que ça empêche d’avancer, et il n’y a que la marche en avant qui m’intéresse réellement.
- Que vous a appris la rédaction de cet ouvrage ? Vos choix à venir seront-ils différents grâce à ce travail ?
Comme j’ai le sentiment d’avoir effectivement rassemblé mes idées, d’avoir formulé l’essentiel, en condensé, c’est au moins quelque chose qui existe. D’une certaine façon, je me sens plus libre.
 “Personne ne se lamente du néant qui précède sa naissance. Celui qui suit notre décès n’est pas plus terrible”
- Vous n’êtes pas croyant. Avez-vous peur de la mort ?
Il me semble que tout être humain a peur de la mort. Ce peut être plus ou moins intensément, et cette peur peut prendre des formes très diverses, mais personne n’en est totalement exempt. Quant à mon incroyance, elle est relative, dans la mesure où je sais qu’il ne s’agit pas d’un savoir, mais justement d’une croyance : je crois qu’il n’existe pas de dieu créateur, d’immortalité de l’âme, de vie après la mort… mais j’ai pleinement conscience que ce ne sont que des croyances, pas des connaissances, ni des certitudes. Du coup, je ne peux pas exclure d’être surpris ! Mais, de toute façon, je sais également combien cette peur du néant est un fantasme : personne ne se lamente du néant qui précède sa naissance. Celui qui suit notre décès n’est pas plus terrible.
- Votre épitaphe ?
Par jeu, car la vie comme la pensée et l’écriture sont des jeux, j’imagine de mettre sur ma tombe “Il savait choisir les melons”. C’est évidemment une plaisanterie, mais, comme toutes les plaisanteries, elle a aussi une signification. Car il s’agit d’un savoir approximatif, sensible, fondé sur l’expérience et le corps : on reconnaît un bon melon à une série de signes discrets, et sans jamais pouvoir être vraiment sûr et certain. Finalement, c’est cela qui m’intéresse le plus, dans la vie : pas du tout la certitude, les déductions implacables, les vérités éternelles, mais plutôt le mélange de sensations, d’intuitions, d’expériences et de hasard qui fournit la trame de l’existence. Contre la vieille domination exclusive de la raison qui a marqué l’histoire de la philosophie occidentale, il me semble que nous devons inventer, sans abandonner ni la science ni la logique, de nouvelles combinaisons des affects et de la pensée.
- Un mot sur les débats actuels : euthanasie, suicide assisté… Qu’en pensez-vous en tant que philosophe, et pour vous-même si vous étiez confronté à un choix de cet ordre ?
Je dois distinguer nettement vos deux questions. J’ai été durant six ans membre du Comité consultatif national d’éthique, et il me semble qu’il faut à la fois donner droit au choix de chacun de choisir sa fin de vie et en même temps être extrêmement prudent, afin de ne pas inscrire dans la loi des dispositions qui pourraient donner lieu à des dérives dangereuses, des pratiques d’élimination. C’est un problème extrêmement complexe, car il fait entrer en jeu quantité de facteurs et de sensibilités diverses, et chaque situation concrète est en fait un cas particulier, ce qui rend très délicat de légiférer. En revanche, si je me pose la question pour moi-même, j’ai le sentiment que je souhaiterais mettre fin à mes jours, ou qu’on le fasse pour moi à ma demande, si disparaissaient les possibilités d’action qui à mes yeux donnent sens à la vie. Mais, pour être honnête, je n’en sais rien. Car, ce que je pense aujourd’hui, en bonne santé et pas encore vraiment vieux, n’est pas nécessairement ce que je voudrais dans une situation toute différente.
Catherine Barry
Si je n’avais plus qu’une heure à vivre, éditions Odile Jacob, janvier 2014, 98 pages.

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