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dimanche 9 février 2014

Cultures et Territoires...



Culture(s) et territoire(s)
Ré-enchanter le local :   Culture et territoire sont dotés de frontières multiples et poreuses.
Ces derniers subissent de plein fouet une mondialisation qui disloque les espace-temps locaux, au bénéfice d’un espace-temps monde. Pour réhabiliter le local, sans tomber dans le repli identitaire, il faut renouer avec sa capacité universelle.
Peut-on penser le territoire, sa cohésion, sa cohérence, son contenu, son essor, ses limites, indépendamment des espace-temps plus grands dans lesquels il s’inscrit ? Est-il imaginable de penser le local sans prendre en compte le global, même si celui-ci se décline au pluriel ? C’est à travers un questionnement trans-spatial, du local au global, que nous pouvons mieux saisir les enjeux de cette problématique : si tous affirment la nécessité d’un lien entre culture et territoire, comment peut-on faire advenir une vraie pensée de ce lien ? Cette pensée ne suppose-elle pas que nous prenions la pleine mesure des dynamiques culturelles qui expriment la vitalité des femmes, des hommes et des communautés ?
De même que le territoire est traversé par des lignes spatiales diverses (locale, régionale, nationale, continentale, planétaire), la culture est portée par des tensions, qui peuvent être créatrices ou mortelles, qui renvoient à ces mêmes horizons géographiques. L’entrelacement entre culture et territoire est donc un processus complexe. Les territoires existent – cette existence est même l’une des condition de la vie sociale, à moins de croire dans ce cauchemar qu’est la « cyber-ville-monde » –, mais leurs frontières sont beaucoup moins précises que ce que nous pourrions penser. Les frontières juridiques, administratives, institutionnelles, économiques, fiscales, politiques entrecroisent les frontières naturelles, culturelles, psychologiques et imaginaires. Ces entrecroisements dessinent une multiplicité qui est un acquis de l’histoire sociale, pour peu que les différences ne deviennent pas des différends. Cela signifie que pour éviter les replis sur soi, sur les supposées frontières de son supposé territoire, il est nécessaire de réhabiliter avec force et intelligence la dimension universelle du local.
La mondialisation, « viol de l’imaginaire »
Depuis le début des années 80, un nouveau mouvement a lieu à l’échelle planétaire : la mondialisation. C’est le cadre par excellence dans lequel se déroule
l’ensemble des processus auxquels nous sommes confrontés, qu’ils soient économiques (financiarisation, néo-libéralisation, dérégulation), technoscientifiques (cyberespace, biotechnologies, nanotechnologies) ou culturels et idéologiques (standardisation des identités, fondamentalisme, uniformisation), écologiques (réchauffement climatique, désertification, urbanisation sauvage…). La mondialisation affecte directement les territoires, non pas les territoires abstraits, mais les territoires vécus. Notre thèse est que la mondialisation disloque et désagrège les espace-temps locaux, au bénéfice d’un espace-temps monde. Or, seuls les grands États et les grands consortiums économiques peuvent vivre dans cet espace-temps monde. La délocalisation globale propulse l’humain dans un « temps-monde » et un « espace-monde » 1 qui sont invivables. Si la délocalisation déracine les activités humaines des espaces-temps locaux, elle vise aussi à dissoudre les imaginaires intérieurs, les temps de la psyché, de l’émerveillement. Nous rejoignons l’idée de l’urbaniste Paul Virilio selon laquelle la mondialisation tend à uniformiser la pluralité des temporalités, des rythmes, et à fabriquer un seul temps, linéaire, rectiligne, marchand, utilitariste. La seule valeur de ce temps est l’accélération de la vitesse… La culture est la première victime de la mondialisation et l’ancienne ministre de la Culture du Mali, Aminata Traoré, évoque un « viol de l’imaginaire » pour parler de son impact dans les territoires sociaux et culturels. D’ailleurs, de nombreux analystes ont montré que le monde, dans sa pluralité, ne participe pas à la mondialisation comme sujet historique créateur, mais comme objet du système marchand. Derrière la mondialisation, il y a d’abord une occidentalisation du monde. Pour que la réhabilitation du local ne soit pas le prétexte à un repli sur soi, il nous faut souligner sa capacité à être universel. Une œuvre est dite universelle, non pas au regard du nombre de ses lecteurs ou auditeurs, mais en fonction de sa qualité intrinsèque. Quand Dostoïevski écrit les Frères Karamazov, il nous offre une œuvre singulière, déterminée géographiquement, historiquement et culturellement. Mais cela ne signifie nullement que ces ancrages locaux dans la Russie du XIXe siècle soient des obstacles à sa dimension universelle. Elle est simultanément locale et universelle. L’universalité d’une œuvre ou d’une situation locale est le fruit d’une qualité et non pas un horizon vers lequel il faudrait tendre. La reconnaissance d’une valeur universelle au local suppose qu’il ne soit pas réduit à la plus petite unité de mesure d’un espace euclidien. En effet, les lieux locaux sont fécondés par des temps locaux et ces espaces-temps locaux sont les sites qui permettent à l’humain concret et pluriel d’exister. C’est précisément dans la mesure où l’économique, le politique, le culturel, l’écologique et le sacré sont réinscrits dans le tissu des espaces-temps locaux que le principe de localité peut devenir un principe créateur d’universalité.
L’humain délocalisé, unidimensionnel
C’est au sociologue Herbert Marcuse que nous devons l’expression de « l’homme unidimensionnel ». Elle dit avec exactitude le projet capitaliste concernant la figure de l’humain dont il espère voir l’avènement. Cette unique dimension est bien évidemment économique, mais aussi au cœur d’une entreprise mutilante de réduction généralisée : le réel est réduit au matériel ; le matériel est réduit à l’économique ; l’économique est réduit au financier. Le projet de la délocalisation globale et celui de la marchandisation du monde sont les produits de mort d’une même matrice : la réification, la chosification. Il convient de faire un détour, ici, par Karl Marx et par Max Weber pour rendre intelligible l’aliénation fondatrice exercée par le fétichisme de la marchandise. Ainsi, ce qui pose en vérité problème, ce n’est pas tant l’existence d’une économie de marché, c’est le fait, d’une part, que cette économie est une économie-monde (en réalité une économie-Occident mondialisé) et, d’autre part, que les lois du marché pénètrent les sphères non marchandes de la réalité, y compris l’organisation du vivant. Max Weber nous parle de désenchantement du monde pour caractériser le capitalisme. En effet, en tant qu’entreprise de réification généralisée, le capitalisme désenchante les espaces-temps locaux, notamment en tentant de dissoudre l’Âme du monde (l’anima mundi des anciens), les génies des lieux, toute cette classe de phénomènes subtils que nos poésies, nos imaginaires, nos spiritualités désignaient sous les beaux (et parfois inquiétants) noms de lutins, elfes, fées, gnomes, djinns, ghouls, ondines. « Le mot désenchantement a été lancé par le sociologue allemand Max Weber », écrit Jean-Louis Schlegel. « En allemand, le mot est Entzauberung, et, si on le traduit littéralement, il signifierait que les objets, dans le monde moderne, sont dépouillés de toute aura magique, de tout sens merveilleux, que la nature ou le cosmos, en d’autres termes, deviennent un monde d’objets à étudier, à analyser, à classer, à calculer, à mesurer. Descartes en avait donné le principe philosophique et, à partir de Newton, la chose fut acquise : la nature est un grand mécanisme. Entzauberung : “ cosmos désenflé ”, c’est-à-dire un cosmos qui a cessé d’être un monde symbolique, un monde vivant, avec une âme ou des milliers d’âmes, un monde d’énergies aussi. » 2
Valoriser les projets de civilisation
« Le recours au local comme projet de civilisation. » La philosophe Dominique Méda a eu cette belle formule dans son livre Qu’est-ce que la richesse ? 3 en opposant la civilisation à la mondialisation. Il est vrai que face à la logique de guerre qui préside aux entreprises de mondialisation, il est plus que jamais important de valoriser le sens civique, la civilité et les projets de civilisations qui, à partir des espaces-temps locaux, peuvent épanouir nos cultures. Comme nous l’avons dit, la réhabilitation du local, loin de signifier retour au passé et repli identitaire, est la condition même de l’universel et du civilisationnel. Espace de justice sociale, d’égalité, de démocratie participative, d’écologie globale, de fécondité culturelle et de vie spirituelle, les civilisations peuvent être ces territoires, ces lieux où les espaces-temps locaux, régionaux, nationaux et continentaux échangent entre eux, en vue, non d’une accumulation du capital ou d’une exploitation de l’humain et du saccage de la nature, mais à l’inverse pour faire tenir ensemble le singulier et l’universel.
Mohamed Taleb
cardabelle_taleb@yahoo.fr
1- La vitesse de libération, Paul Virilio, éd. Galilée, Paris, 1995.
2- « Le réenchantement du monde et la quête du sens de la vie dans les nouveaux mouvements religieux », Jean-Louis Schlegel, in Les spiritualités au carrefour du monde moderne, traditions, transitions, transmissions, colloque à la Sorbonne, éd. Centurion, Paris, 1994. Jean-Louis Schlegel est philosophe, sociologue et membre du comité de direction de la revue Esprit.
3- Qu’est-ce que la richesse ?, Dominique Méda, éd. Champs-Flammarion, Paris, février 2000.
Le singulier universel, pôle coordinateur d’un réseau interassociatif euro-méditerranéen et transculturel consacré au développement personnel, inter-personnel, à la transformation sociale et à l’écologie.
37, rue d’Amsterdam 75008 Paris
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