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samedi 24 août 2013

Décès du camarade Grumbach...

Tiennot Grumbach, en décembre 2000 lors d'une conférence de presse à Paris.

Tiennot Grumbach, l'"avocamarade" toujours au service des autres

Il avait quelque chose d'un loup de mer. Il en avait d'ailleurs les attributs, une pipe, un chandail épais, un fond de barbe. Il en avait surtout l'art de conter. Il livrait ce que nous appelions les histoires de l'oncle Paul, des récits d'évènement, de rencontre, de combat, ponctués toujours d'une citation, d'un dicton prêté non à La Fontaine, mais à Karl le Barbu ou à Mao de préférence.
Ce n'était pas la mer qu'il avait sillonnée. Il voyageait plutôt mal et toujours pour participer à une oeuvre utile. Il avait traversé les épisodes essentiels de notre histoire récente, ceux qui apprennent l'importance des révoltes et la valeur des luttes, contre la barbarie, contre la colonisation, contre le stalinisme, contre toutes les aberrations. Ce qui l'avait forgé, c'était donc l'Algérie, qu'il avait rêvée socialiste, le militantisme révolutionnaire dans les Yvelines, l'usine où il s'était établi et tous les combats qu'il avait accompagnés de sa haute stature, de sa belle voix, et de son habileté à faire des tracts. Et déjà dans cette vie mouvementée, le goût de la lecture, le besoin de discussion, le sens de l'organisation, tout ce qu'il manifestera dans sa vie d'intellectuel engagé.
Au sortir de cette jeunesse pleine de fureur, au début des années 1970, il choisit le droit du travail. Il n'avait pas de familiarité avec le droit. Il était assistant de science politique. Il choisit le métier d'avocat. Il n'appréciait guère le monde de la basoche. S'il choisit le droit du travail, c'était pour mieux épouser la cause des travailleurs. Et pendant quarante ans, Tiennot fut, pour tous, un repère.
THÉORIE AUX FORMULES IMAGÉES
Il invente une nouvelle manière d'être avocat. Son cabinet était une sorte de phalanstère. Tous égaux. Les militants, les travailleurs s'y pressaient car ils y construisaient avec Tiennot et les siens, leur dossier, leur stratégie, leurs luttes. Avec lui on ne parlait pas d'argent, on parlait de dignité et de réintégration. Sa détestation, c'était le chèque-valise, le chèque, parfois très élevé, que l'employeur sait convaincre des salariés de recevoir pour ne plus entendre parler d'eux. Avec lui, on cherchait à interpréter les changements du travail, les arrêts de chaîne de production, les cessions de brevets. Nul mieux que lui n'a vite ressenti et bien analysé la financiarisation, les délocalisations, l'immense mouvement contemporain de transfert des risques vers les travailleurs. Il théorisait avec gourmandise et évoquait Hilferding et l'essor du capitalisme financier, André Gorz bien sûr, et bien d'autres. Mais il savait traduire leurs analyses exigeantes en formules imagées. Avec les syndicalistes de l'audiovisuel, il inventera aussi, devant moi, la théorie des patates. Tous comprenaient.
Comprendre, pour agir mieux, c'était une obsession, pour lui et pour les autres. Il ne se passait donc pas un mois sans qu'il organise un colloque, un séminaire, une réunion de travail avec les "avocamarades", mais aussi avec des sociologues, des experts comptables, des conseillers purd'homaux... Pas un mois sans qu'il n'écrive un long article, qu'il envoyait pour critique à des amis divers.
EN FAMILLE PARTOUT
Il aimait les livres, et en lisait beaucoup. Il était sensible à leur iconographie. Mais ce qui à ses yeux permettait le mieux la réflexion créatrice et le partage du savoir, c'était une revue. Il en créa donc. La Revue Travail, par exemple. Le Comité de rédaction était à l'image de Tiennot, pluriel. Les réunions, le samedi, chez lui. Le projet grandiose : un dialogue entre la réalité contemporaine du travail et les façons savantes de la comprendre pour la transformer. La revue, les revues, ce n'était pas suffisant. Il y eut, il y a toujours, le réseau, le site, le majestueux outil d'échanges entre militants, conseillers prud'homaux, avocats, universitaires. Tiennot c'est une force, une puissance au service des autres, ne vivant qu'avec les autres. Il était en famille partout. Car s'il y avait la dureté des luttes qu'il vivait, il y avait aussi la tendresse, celle qui inspire le regard aimant des élèves et des amis.
Grand avocat, puissant, recherché, grand agitateur, grand organisateur, Tiennot avait sa pudeur, une bienveillance dont tous bénéficiaient, surtout les jeunes pousses, une droiture de tous les instants, mais qu'il exigeait aussi de tous ceux qui faisaient commerce avec lui. Il était un immense porteur d'espoir.
Antoine Lyon Caen (professeur de droit à l'université Paris-X Nanterre et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales)

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