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samedi 6 juillet 2013

Que faire du capitalisme dans la Transition Ecologique ?



Que faire du capitalisme dans la « transition écologique » ?
J’étais il y a deux jours à France Culture, avec Alain Grandjean, membre de la Fondation Nicolas Hulot et « économiste atterré » (voir son excellent site http://alaingrandjean.fr/), pour enregistrer une émission d’une heure qui passera cet été dans le cadre d’une série sur des enjeux écologiques. Pour cette émission, il s’agissait d’un thème redoutable : « écologie et capitalisme ». Je ne vais évidemment pas en dévoiler le contenu avant sa diffusion, d’autant que cela dépasserait de loin le format d’un billet. Voici juste un petit bout de mes notes, que j’ai complétées. Je signalerai plus tard la diffusion de ces émissions.
Le capitalisme me pose divers problèmes sous l’angle de la transition, dans sa composante écologique que je me contraindrai à isoler provisoirement de ses dimensions sociales, alors que je pense qu’il faut les articuler, ce que j’ai souvent développé. Les trois principaux problèmes sont les suivants.
1. CAPITALISME ET BIENS COMMUNS NATURELS
Le capitalisme s’est historiquement développé sur la base (entre autres) de la privatisation de biens naturels « communs » (en propriété commune : terres, forêts, eau, sources d’énergie…), au centre comme dans la périphérie colonisée. Cette privatisation a conduit à une surexploitation ne se souciant pas du long terme. Cela continue aujourd’hui, sous des formes renouvelées : conquête des pôles, gaz de schiste, forages en eau profonde, méga-barrages, privatisation de semences et gènes, déforestations massives, accaparement des terres, y compris en Europe (rapport récent et édifiant)…
Or je ne vois pas comment sortir de la crise écologique sans reprendre le contrôle collectif, public ou « communal » ou coopératif, de ces biens naturels communs, en tout cas les plus vitaux, y compris le climat avec ses multiples déterminants. Sans les « sortir du capitalisme » pour les préserver.
Pour l’instant, les acteurs dominants du capitalisme s’y opposent farouchement. Ils nous parlent d’un capitalisme vert, ce qui signifie, pour eux, une privatisation toujours croissante de ces BC. La nature apparaît aujourd’hui comme la nouvelle frontière du capitalisme financier. Voir mon billet “La nature, nouvelle frontière du capitalisme financier“.
2. PRIVATISATION DE LA MONNAIE ET DU CRÉDIT
Les dirigeants politiques libéraux ont également privatisé la monnaie et le crédit, qui devraient être eux aussi des BC, moyennant quoi la finance libéralisée a créé tous les outils d’une spéculation permanente sur tout, d’un endettement privé puis public monstrueux, rendant impossibles les investissements de la transition. On ne s’en sortira pas sans remettre les pouvoirs financiers à des pôles publics ou coopératifs. D’autant que la financiarisation est en train de s’étendre à la nature, avec la création de nouveaux marchés financiers et produits dérivés visant à transformer des communautés pauvres, mais riches en ressources naturelles, en fermiers ou métayers producteurs de « services écologiques » au grand bénéfice des rentiers et spéculateurs sur ces nouveaux crédits subprimes.
3. L’ADDICTION DU CAPITALISME A LA CROISSANCE
Le capitalisme a besoin de croissance perpétuelle de la production et de la consommation, un peu comme une drogue, et il est aujourd’hui en manque, donc très mal, et agressif. Il dépense 500 milliards de dollars par an pour injecter dans les « cerveaux humains disponibles » des substances publicitaires hallucinogènes conduisant à des confusions mentales entre le futile et l’utile, entre les besoins réfléchis et les impulsions d’achat. Le tout au nom de la relance perpétuelle, qui est consubstantielle à son principe d’accumulation.
Deux autres drogues accompagnent le dopage à la croissance : les énergies fossiles, facteur majeur de croissance et de gains de productivité, et le « libre-échangisme », une idéologie et une pratique de « libre dumping » qui recouvrent du manteau de la liberté des stratégies de domination des multinationales entendant acquérir tout pouvoir de mise en concurrence des territoires et des peuples de la planète. Ces trois drogues sont mortelles pour l’environnement.
QUE FAIRE DU CAPITALISME ?
En résumé, et sachant que des arguments non écologiques que je ne mentionne pas ici sont aussi décisifs, je rejoins Edgar Morin : « On ne va pas le remplacer par un coup de baguette magique mais on peut REFOULER SA ZONE DE DOMINATION ABSOLUE ». Je complète ainsi : « en mettant hors de portée de sa logique de surprofits et de rente les biens communs vitaux, écologiques mais aussi sociaux (protection sociale, égalité des sexes…) ».
Quelles configurations pourraient prendre une économie et une société pratiquant un tel « refoulement », pratiqué au nom de biens communs ? Il s’agit de conjectures, mais il faut bien se lancer. Le premier refoulement est la « définanciarisation » de l’économie et de la société, en liaison avec la mise à mal du pouvoir totalitaire des (grands) actionnaires sur l’économie. La définanciarisation est la mesure la plus urgente, et c’est la plus crédible parce que des forces diverses y poussent déjà, allant bien au-delà de ceux qui critiquent le capitalisme. Imaginons à quel point le contrôle socialisé du crédit pourrait contribuer à réorienter l’investissement vers les urgences de la « transition » à long terme, et non sur la base de la « valeur pour l’actionnaire ». La mise sous tutelle du pouvoir actionnarial, qui sera déjà freiné par la définanciarisation, est également crédible parce qu’on a connu dans le passé des formes de capitalisme où ce totalitarisme n’existait pas.
Mais cela ne peut suffire. Les multinationales continueraient à mettre les territoires de la planète en concurrence et à jouer sur des « avantages comparatifs » dont l’autre nom est le dumping social, écologique, fiscal et démocratique. Il faudra donc d’autres mesures de refoulement, dont la fin des accords dits de libre-échange, qui sont en réalité des accords d’échange inégal et de domination impériale des grands intérêts privés. Il importe aujourd’hui de mettre en échec le projet monstrueux de « partenariat » transatlantique, qui n’est pas le seul existant ou en cours d’élaboration.
ET À TERME ?
Je verrais bien à terme un capitalisme qui ne serait plus qu’un des piliers, non dominant, régulé selon des normes sociales et écologiques, d’une économie plurielle, à côté d’autres piliers, publics, coopératif, associatif, indépendant et libéral, avec des tissus locaux de PME, d’artisans, de paysans associés, le tout financé en fonction du long terme et de l’intérêt général par des banques socialisées. Et avec un très important secteur d’activités bénévoles, citoyennes, volontaires, locales ou en réseau, favorisées par la réduction du temps de travail sur l’ensemble de la vie, parfois associées à des activités économiques salariées ou indépendantes, parfois autonomes.
Mais alors, on ne pourrait plus dire que l’on est dans des économies capitalistes. Il s’agirait d’économies plurielles avec un secteur capitaliste non dominant réalisant des profits jugés raisonnables et réinvestis dans des projets soutenables. L’écologie ne peut selon moi être compatible qu’avec un segment de capitalisme circonscrit et mis sous la tutelle de la démocratie, via des normes. Pour l’instant, c’est plutôt la démocratie, y compris au sein des entreprises, qui fonctionne, ou plutôt dysfonctionne, sous la tutelle du capitalisme et de ses normes de profitabilité.
Ensuite ? Une extinction du capitalisme peut-elle être pensée ? Des coopératives partout ? Je n’en sais rien, mais j’observe que tous les modes de production contiennent des survivances des anciens.
Cela dit, personne ne peut sérieusement penser qu’il faille attendre une extinction du capitalisme pour engager la transition écologique (et sociale). Il faut la lancer vite, dans le système tel qu’il est, et c’est en chemin que l’on verra comment faire avec, ou comment défaire, le capitalisme. D’ici là, des gens très différents auront des occasions de coopérer pour « refouler la zone de domination absolue du capitalisme » sur la société, la nature et la finance. Et au cœur de ces alliances, on trouve la défense de biens communs essentiels, gérés en commun, donc la démocratie revivifiée.
Jean Gadrey
Jean Gadrey, né en 1943, est Professeur honoraire d'économie à l'Université Lille 1. Il a publié au cours des dernières années : Socio-économie des services et (avec Florence Jany-Catrice) Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères). S'y ajoutent En finir avec les inégalités (Mango, 2006) et, en 2010, Adieu à la croissance (Les petits matins/Alternatives économiques), réédité en 2012 avec une postface originale. Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.

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