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mardi 9 juillet 2013

Les mass medias contre la démocratie par Alice Médigue...



Les mass médias contre la démocratie
La machine mass médiatique est arrivée aujourd’hui à un point inédit de déphasage avec les citoyens. Imbriquée à ce qui est devenue la « machine politique », elle avale les scandales les uns après les autres, en les banalisant par son formatage implacable. La catastrophe nucléaire de Fukushima, les conflits d’intérêts derrière les scandales sanitaires, les affaires qui ébranlent le cœur même de notre République…rien ne semble arrêter la machine à dénis. Aujourd’hui, si le scandale Cahuzac et les révélations des « Offshore Leaks » ne font pas cran d’arrêt, les « nouveaux chiens de garde [1] » auront bel et bien réussi à verrouiller totalement la parole et le débat démocratiques.
La scène médiatique occupe l’espace central de la production du sens…
Dans toute société, il existe un espace tiers où se construit le sens collectif, et c’est sur lui que s’adosse le pouvoir politique pour se justifier. Au contraire du sens « absolu » d’une société soumise à la tyrannie, la production du sens démocratique doit s’adosser à un espace de débat pluraliste, où les citoyens savent qu’ils peuvent participer à sa définition. C’est à travers cet espace que se fait le « contrôle continu » du pouvoir pour que ce dernier ne dérive pas vers un pouvoir particulier. Aujourd’hui, la société française tient encore, dans son imaginaire politique, autour des valeurs de la République et de sa devise « Liberté, égalité, fraternité ». « L’espace public » est censé être cet espace du débat démocratique, au cœur de la société. Mais que reste t-il aujourd’hui de cet espace ? Où le pouvoir politique va t-il aujourd’hui défendre sa légitimité ? A quel espace s’adosse t-il réellement ?
A n’en pas douter, c’est la « scène mass médiatique [2] » qui occupe cet espace, c’est à travers elle que le pouvoir politique (et économique) se donne à voir et se légitime. Elle s’est érigée comme l’intermédiaire de notre vie publique, en prétendant représenter la société – par les enquêtes d’opinions en particulier - et être la scène de confrontation démocratique où les « responsables » viennent s’adresser à la population. A travers elle, nous vivons par procuration, en tant que spectateurs, ce que nous devrions vivre en participant, au sein de vrais espaces de débat. Nous lui avons progressivement laissé le pouvoir suprême de parler à notre place. Comme le souligne Charles Melman, « La presse et les médias - ce qu’on appelle le quatrième pouvoir - sont venus se substituer à cet Autre auquel on se référait autrefois à travers le poids de l’histoire, de la religion, de la dette.[3] ».
… sans autoriser de participation démocratique
Le grand fantasme : dissoudre les tensions, évacuer la pensée.
La scène mass médiatique a progressivement pris la place de l’espace central de notre vie publique quand on a commencé à renoncer collectivement à penser, pour « se reposer » enfin après la barbarie nazie, et les tensions idéologiques de la guerre froide. Au début des années 80, on a proclamé « la fin des idéologies », avec la certitude que le libéralisme économique, ce système soi-disant « non idéologique », mettrait tout le monde d’accord. Comme le dit bien Jean-Pierre Lebrun, ce fut le temps de « l’idéologie de penser vivre sans idéologie  »[4], habitée du fantasme de dissoudre tout débat et toute critique dans la jouissance consumériste partagée. Après le tournant de la rigueur en 1983, François Mitterrand ne cache plus sa « passion de l’indifférence » quand il est réélu ; ce nouvel ordre idéologique, proclamé par l’Etat lui-même, plonge le citoyen dans un compromis où il « semble savourer surtout sa propre impuissance. Telle est peut-être la clef du centrisme nouveau, inédit dans l’histoire politique française, sous le signe duquel se déroule cette longue année très présidentielle : le compromis comme impuissance, le centre mou où s’annulent les divergences, le juste milieu pour que la politique ne déborde pas. Car le centre sera mou, et la politique soft. En cet an 88 d’où a disparu toute tension visible (…) la politique ressemble un peu au désert aveuglant de Bagdad Café, l’autre curiosité cinématographique de l’année. Son contenu éventuel y est aussi improbable que l’irruption d’une station-service, et les citoyens y sont aussi seuls que la grosse cantatrice nomade du film, pris comme elle entre la folie d’un monde lisse et le cri qui le déchirera [5] ».
Sans plus aucun obstacle idéologique après le déclin du communisme, l’économie de marché a investi les médias et créé des monopoles inédits aux profits d’intérêts privés. Cette nouvelle scène mass médiatique, clinquante comme le marché publicitaire sur lequel elle s’adosse, a été un boulevard inespéré pour cette pensée consensuelle souhaitée jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. « La politique est devenue une forme publicitaire » où la question de la parole n’est plus que celui de sa mise en scène, les années 80 marquant la « transition de la politique à la publicité, de l’Histoire à l’actualité, de la critique à l’expertise [6] ». Pour évacuer complètement le débat, il faut évacuer aussi les sujets[7], ce que la scène mass médiatique sait bien faire en dépersonnalisant les rapports : face à la masse anonyme des récepteurs (auditeurs, lecteurs ou téléspectateurs), les émetteurs (journalistes, présentateurs…) parlent au nom d’un média (tel grand journal, telle chaîne) qui dissimule bien souvent son parti pris. On gomme ainsi toute situation d’énonciation où la parole est attachée à des sujets identifiés et responsables de ce qu’ils disent ; les messages circulent sans être actualisés dans des relations sociales, à l’image de ce qui passe sur la scène marchande – grande inspiratrice de la scène médiatique - où les messages publicitaires anonymes s’adressent à la masse anonyme des consommateurs.
Le discours de l’expert, « pragmatique et rationnel », verrouille le tout - pour être sûr que nul autre ne pourra venir interférer. C’est le langage hermétique à toute critique, de l’idéologie de la fin des idéologies, qui nous dit qu’il n’y a plus rien à penser, que tout est là dans ce qu’il assène. Les philosophes des Lumières, qui ont lutté contre l’obscurantisme de la monarchie de droit divin, doivent se retourner dans leur tombe ! S’ils avaient su que ce précieux exercice de la raison deviendrait deux siècles plus tard un alibi pour ne plus penser ! Une parole absolue qui sacralise l’information, comme s’il s’agissait d’entités autonomes qui portaient la « science infuse », équivalent scientiste de la révélation divine. Comme le résume bien François Cusset, « la décennie 1980 est celle de l’expertise omnipotente parce qu’elle est celle de la défaite de la critique- de son repli, de son effacement et de sa stigmatisation constante [8] ». Ce langage prétend évacuer la subjectivité des sujets et leurs incertitudes ; le communicant mass médiatique, l’interviewer des plateaux télé, tient cette parole qui jubile de sa toute-puissance, car elle sait qu’elle « fait l’info » et que, dans son décor de carton-pâte loin de la masse silencieuse de l’audience, il n’y aura pas de remise en question possible. La parole est close et le débat d’idées verrouillé.
Ces deux scènes dominantes du langage (la marchande et la mass médiatique), omniprésentes dans nos vies, nous ont peu à peu habitués à une communication qui évacue la réciprocité, une communication sans sujets, qui laisse croire que ce qui fait « vérité » ou « sens » peut se passer de notre participation. Jean-Pierre Lebrun voit apparaître là « un niveau supplémentaire de mainmise sur le sujet. On n’a plus recours aux méthodes traditionnelles, comme quand les totalitarismes utilisaient ouvertement et délibérément les techniques classiques de contrôle et de propagande pour avoir prise sur le sujet. Aujourd’hui, pour réaliser cette mainmise, on agirait en évidant le lieu même du sujet » [9]. Dans cette ère du renoncement à penser, quoi de plus logique que de désigner comme espace de production du sens commun cette scène qui verrouille le débat et renvoie les citoyens à leur impuissance ?
Nombre de nos gouvernants ont souscrit à ce langage, à l’esthétisation des relations qu’il impose, où c’est désormais l’image (sans faille) qui fait le message ; les paroles sont secondaires, et avec elles, la vérité de ce qui est dit. Ils ont adopté une parole close sur elle-même, qui ne fait que présenter des certitudes sans attendre aucun débat. C’est l’envers du « parlêtre » (l’homme de langage selon Lacan) pour qui la parole porte un échange, comme celui du débat démocratique. Que ceux censés être garants de notre démocratie nous tiennent ce langage en dit long…
Parole bloquée et perte de la culture du débat
Ainsi, nous disposons de moins en moins d’exemples de personnes, sur cette scène centrale de l’attention publique, osant soutenir une parole authentique, ouverte au doute et au débat démocratique. Il n’est pas anodin qu’il devienne de plus en plus dur de prendre la parole en public, d’assumer la responsabilité de parler du sens, de s’assumer face aux autres en tant que sujet singulier. Qui n’a pas remarqué qu’il devenait de plus en plus dur de débattre - au café, au travail, au sein des familles…- ? La parole, verrouillée au centre, semble bloquée dans le reste de la société.
Au moment où la « langue de bois » n’a jamais autant occupé la scène, des psychanalystes soulignent l’urgence de revivifier la parole en nous la réappropriant, notamment via ces autres formes de langage (poétique, fictionnel, témoignages subjectifs…) qui parlent depuis notre intériorité, et qui ont été trop souvent relégués par le discours de « l’expert médiatique ». Le psychanalyste Roland Gori en appelle à notre capacité de créer et de nous raconter des histoires : « L’art de conter est en train de se perdre. Il est de plus en plus rare de rencontrer des gens qui sachent raconter une histoire. Et s’il advient qu’en société quelqu’un réclame une histoire, une gêne de plus en plus manifeste se fait sentir dans l’assistance. C’est comme si nous avions été privés d’une faculté qui nous semblait inaliénable, la plus assurée entre toutes : la faculté d’échanger des expériences (…). Une chose est sûre, si nous laissons sombrer l’art du récit et le goût de la parole, il n’y aura bientôt plus personne pour défendre la démocratie. Parce qu’il n’y aura plus de culture véritable où se fondent subliminalement le singulier et le collectif, le politique et la subjectivité » [10]. Au-delà des « parlêtres » individuels que nous sommes, c’est la transmission culturelle d’une société toute entière qui tend à être bloquée. Il est intéressant de souligner que la psychanalyse est d’ailleurs apparue au début du 20e siècle pour réagir à la disparition du sujet provoquée par le discours scientiste ; pour combattre dans l’arène, elle a adopté le langage scientifique pour souligner l’importance de ces autres langages du symbolique.
La scène mass médiatique « nous coupe le sifflet » d’une autre manière : en brouillant notre compréhension du monde, ce besoin démocratique fondamental. Elle nous renvoie bien souvent à une vision confuse d’un monde incertain ; un sentiment de saturation nous plombe face à une abondance d’informations « en tous sens » : pour mieux comprendre le monde, nous n’avons pas besoin de plus d’informations, mais de plus d’espace d’échanges pour organiser le sens ensemble, ce qui implique de vrais espaces de débats démocratiques. Heureusement, des médias indépendants épris de démocratie – comme Médiapart, Indymédia, Là-bas si j’y suis, Politis…– promeuvent une approche participative de l’information qui redonne sa place au citoyen. 
Une dé-symbolisation à risque
La scène mass médiatique actuelle est parfaitement adaptée à la « nouvelle économie psychique » (NEP) qui s’affirme depuis deux décennies. Définie par le psychanalyste Charles Melman [11], elle se caractérise par l’adhésion des individus à leurs pulsions de toute-puissance, et par « l’exhibition de la jouissance ». La figure triomphante de cette NEP est le pervers narcissique qui ne se sent exister qu’en assouvissant ses pulsions directement dans le réel. Les concentrations de pouvoirs et collusions d’intérêts derrière la scène mass médiatique ne peuvent que laisser s’épanouir ces tendances. Le psychanalyste Jean-Pierre Friedman décrit dans son ouvrage Du pouvoir et des hommes (Michalon, 2002) parle « la maladie mentale » du pouvoir actuel : « On peut la diagnostiquer à divers stades, depuis les intoxiqués légers dont l'état peut empirer brusquement, jusqu'aux malades en phase terminale. La Fontaine disait : "Ils n'en mourraient pas tous, mais tous étaient atteints ». Aidé par beaucoup de curiosité et un peu de chance, j'ai pu côtoyer nombre d'hommes de pouvoir. Psychothérapeute, j'ai reçu leurs confidences. Consultant, j'ai travaillé avec eux. Dans l'entreprise, en politique ou à l'université, j'ai reconnu la même odeur de sang ».
Or, adhérer à nos pulsions sans recul, c’est bloquer la construction du symbolique, ce sens cristallisé dans la pensée qui régule nos actes. Le symbolique émerge dès notre prime enfance pour nous permettre de nous passer des objets réels. Le psychanalyste Winnicott appelle « objets transitionnels[12] » les objets sur lesquels s’arrime le symbolique : le premier que nous connaissons est bien souvent le doudou ou la tétine, que la pensée du bébé utilise comme un substitut du sein pour supporter l’absence momentanée de sa mère. Quand la figure paternelle vient s’interposer dans la relation mère-enfant, refreinant sa « jouissance sans limite » dans la fusion, l’enfant découvre qu’il n’est pas tout pour elle, qu’il existe aussi un autre ; il prend alors conscience de l’altérité. Pour renoncer à la fusion, l’enfant se sert des objets transitionnels qu’il découvre dans la culture (le langage et ses lois, les mythes, le jeu et ses identifications, l’art…). Puisqu’il n’a pas le droit de s’emparer de tous les objets réels, il découvre le pouvoir de sa pensée, à travers par exemple les images et les récits intérieurs qu’il se fabrique pour « retenir en lui-même » des pans de la réalité. Il apprend ainsi à ne plus coller à ses pulsions en accédant à la représentation symbolique, à cette autre forme de satisfaction qui se situe au plan de la pensée.
Sans symbolique, nous n’avons plus de garde-fou contre la saisie directe des objets (les autres, les biens…), cibles de nos pulsions. Sans symbolique, construit par la culture, l’autre devient un objet dont je peux jouir sans avoir la moindre conscience que je l’utilise comme objet. Le symbolique, en faisant exister en nous la conscience du grand Autre (la figure universelle de l’autre), nous ouvre ainsi au respect. Toutes les cultures cultivent ce visage de l’altérité qui apprend le respect. C’est, par exemple, dans l’Evangile, le « dernier des derniers », l’absent à qui l’on pense quand on est réunis ; c’est, dans de nombreuses cultures, l’assiette de l’hospitalité à la table, devant la chaise vide de l’éventuel hôte de passage. A l’échelle d’une société, ce respect de l’altérité est cultivé par des grands principes incarnés dans des symboles communs, comme par exemple, l’égale dignité devant la loi incarnée par la République. Les scènes marchande et médiatique, en évacuant la pensée, érodent la construction du symbolique ; en banalisant une communication sans sujets et sans réciprocité, elles dissolvent à petit feu la conscience de l’Autre, dissolution favorisée par l’imaginaire marchand qui pousse à adhérer à ses pulsions de jouissance. Et sans cette conscience, la barbarie guette.
Des médias qui ne font pas leur travail de vérité
Nombre de ceux qui sont aux commandes actuellement n’ont donc jamais appris à renoncer à leur toute-puissance. Ils voient dans les limites à leur jouissance (de toujours plus de pouvoir, d’argent, de places…) une atteinte à leur liberté de jouir. Il n’est alors pas étonnant qu’ils contournent les lois sans aucun scrupule, car ils n’ont tout bonnement pas intériorisé le sens de la loi. Et ce sont pourtant ceux qu’on appelle « responsables » (économiques ou politiques)… alors qu’ils font partie de ceux qui auraient le plus besoin qu’on leur applique la loi, qu’un tiers leur impose des limites qu’ils sont incapables de s’imposer eux-mêmes.
La scène mass médiatique n’est pas là pour nous aider à assainir la situation, car elle n’assume pas le rôle démocratique qu’elle devrait assumer à cette place « d’espace public central » qu’elle occupe. Au milieu des années 1990, des affaires de corruption et de détournements de fonds envahissent les écrans et la presse. Au total, on compte fin 1994 pas moins de soixante affaires en cours et cent personnalités mises en examen, dont l’affaire emblématique du sang contaminé. En 1995, se réveillent enfin des mouvements militants (sans papier, chômeurs, maisons d’édition militantes…) qui mobilisent de nouveau, dont la grande manifestation de décembre 1995 est le symbole. Mais les mass médias passent sous silence ou minimisent les messages de ces mobilisations, comme l’a bien montré l’association Acrimed. « Tout se passe comme si les idéologues officiels reprenaient et même renforçaient la litanie libérale et fataliste des années 1980, au moment précis où les mouvements sociaux décidaient d’en rompre le sortilège [13] ». La presse dominante se déchaîne contre l’Etat-providence, dénonçant l’apathie des Français et encensant « le courage de la réforme ». En plus de ne plus refléter la voix du plus grand nombre, les mass médias parlent à notre place, en usant de clichés et de profils type de sondage qui nous chosifient dans le vide du débat démocratique.
Nous voilà en 2013 ; le système a déchaîné sa vindicte contre le journal indépendant Mediapart avant que l’affaire Cahuzac qu’il a révélé n’explose au grand jour. Comme le dit son fondateur Edwy Plenel dans son livre Le droit de savoir, « Nous commençons ainsi à entrevoir que tout est lié : l’intolérance envers l’indocilité de l’information et l’indifférence à la vitalité démocratique ». Avec le « séisme Cahuzac », on commence à comprendre l’ampleur de la collusion des intérêts entre les « gens de pouvoir », qu’ils soient issus de la classe politique – de droite ou de gauche- du monde des mass médias, de la finance ou du show business ; on commence à comprendre à quel point les idées et les principes sont secondaires pour eux ; on commence à prendre conscience qu’ils ne sont pas dignes d’occuper la place du symbolique. Dans le dossier de Politis (avril 2013, n°1249) « Après l’affaire Cahuzac, les jeunes prennent la parole », Myriam affirme « On parle de « liberté, égalité, fraternité », mais les valeurs de la République ne sont pas respectées. Les politiciens ne sont pas jugés comme le peuple lui-même. On n’est pas égaux. Leurs symboles, ils ne veulent rien dire.  ». Et Jihed d’ajouter « Le politique doit avoir une morale, plus encore que le citoyen qu’il représente. En arriver là signifie en fait qu’on est à un point de non-retour  ». Tandis que Mehdi, un jeune journaliste, considère la politique comme un spectacle : «  J’ai toujours le sentiment d’une tromperie, ce qui ne m’autorise pas à croire à la politique  ».
Des pistes s’ouvrent…
Après le nazisme et les tensions idéologiques de la Guerre Froide, on a cru qu’on allait enfin pouvoir évacuer les idéologies avec le libéralisme, soi-disant neutre. Mais, comme à chaque fois que l’homme s’est doté d’un nouveau système, il a été tenté d’en faire un absolu, absolu qui, de fait, conduit à faire disparaître le sujet… parce que, l’absolu est total, remplit tout d’avance – comme cette parole mass médiatique verrouillée dans sa certitude –, sans laisser de place au processus du débat d’idées démocratique. Quand parviendrons-nous à devenir suffisamment lucides pour nous organiser sans ériger d’absolu ? Quand saurons-nous que nous avons besoin de principes et de limites qui ménagent toujours la place à l’altérité et au doute, les moteurs du vrai débat démocratique. Comme l’affirme Charles Melman, « on peut respecter cet ordre simplement en sachant que ne pas le respecter, c’est sombrer dans la barbarie  » [14].
Pour maintenir notre démocratie vivante, il est urgent aujourd’hui de ne plus laisser à la scène mass médiatique la production du sens collectif, de cesser de donner le moindre crédit à cette parole verrouillée qui nous dit qu’il n’y a plus rien à penser ; car, omniprésente, quotidienne, de plus en plus « seule dans la place » à mesure que les citoyens perdent la capacité de débattre, elle finit par obstruer totalement notre imaginaire. Les valeurs néolibérales qui dominent actuellement, en prônant la compétition de tous contre tous et la jouissance sans limites de quelques-uns, ne peuvent plus porter le symbolique fédérateur dont une démocratie vivante a besoin.
Certaines voix font aujourd’hui irruption au cœur de la scène pour poser la question du sens, ouvrant des pistes pour construire de nouveaux imaginaires.
La re-symbolisation est en marche : les exemples de Pierre Rabhi et Edwy Plenel
Le 20 avril dernier, j’ai assisté à la discussion aux Amanins entre Pierre Rabhi et Edwy Plenel, dans le cadre des Rencontres de CAMédia. Les voir réunis m’a donné beaucoup d’espoir, c’était comme voir conciliées deux parts difficilement conciliables de moi-même, l’une aspirant à l’ancrage « ici et maintenant », dans le rapport concret et sensible – comme l’incarne le poète-paysan Pierre Rabhi – et l’autre, connectée à la Toile et se tenant informée de ce qui se dit dans les médias. Ils incarnaient les deux jambes sur lesquelles je verrais bien marcher notre société pour tenter de sortir de cet état d’indigence symbolique, où sens et sujet disparaissent.
D’abord, tous deux réaniment le sujet, Pierre Rabhi en s’adressant à la part que chacun peut faire concrètement (illustrée par la légende du Colibri diffusée par le mouvement du même nom inspiré par les idées de Pierre Rabhi) ; Edwy Plenel en ouvrant son journal Mediapart à la participation citoyenne.
Tous deux font resurgir une parole de vérité : Pierre Rabhi de manière diffuse, parmi les citoyens (à travers ses mouvements Terre et Humanisme, et Colibri), sur le terrain agroécologique, mais aussi dans les médias, à travers ses ouvrages et aujourd’hui grâce au tout récent film « Pierre Rabhi, au nom de la Terre » ; Edwy Plenel, à l’image du volcan – sa terre imaginaire –, de manière « explosive » au cœur même de la scène médiatique, en créant à travers les révélations de Mediapart, une irruption de vérité au milieu du consensus et du règne de la langue de bois.
Enfin, tous deux parlent de limites à fixer pour faire exister le respect  : Pierre Rabhi nous rappelle que nous dépendons de la terre, ce grand Autre silencieux que nous sommes en train de détruire ; il parle de ce tiers, invoquant ce sens des limites que l’écologie politique nous apporte, résumé par la formule « Une croissance infinie dans un monde fini est une absurdité ». Edwy Plenel revivifie les principes républicains héritiers de la séparation des pouvoirs de Montesquieu, qui nous relient à notre histoire, à l’éthique d’une presse démocratique, contre-pouvoir essentiel dans une République digne de ce nom. Mediapart, c’est aussi l’intégration, dans ce combat humaniste, des potentialités de la Toile, réalité devenue incontournable, et creuset incroyable d’ouvertures si on veille à sa structure participative.
Il me semble que ces deux référents symboliques s’équilibreraient bien pour nous prémunir contre la tentation de l’absolu : d’un côté, la référence à notre tradition républicaine, imprégnée de rationalisme des Lumières et du contrat social, comme garde-fou à d’éventuelles tendances à diviniser la nature. D’un autre côté, la référence à ce grand Autre naturel ; les écosystèmes et leur fragilité comme garde-fou contre la toute-puissance productiviste. Quand Pierre Rabhi parle de la terre bafouée, il redonne un visage à l’altérité ; si nous sommes si nombreux à être émus en l’écoutant, c’est sûrement que cette référence à l’altérité nous manque profondément, tant elle est absente du langage mass médiatique. C’est elle, dans le discours de l’autre, qui nous ménage une place en tant que sujet, et c’est elle qui nous relie ensemble. Aux côtés de l’héritage républicain, l’entité naturelle est peut-être ce nouveau tiers dont nous avons besoin pour refaire société. Par ailleurs, Pierre Rabhi exprime son attachement à la nature par un langage poétique qui incarne, il me semble, une nouvelle forme de spiritualité qui réconcilierait notre besoin de transcendance (le « sacré » dégagé de l’absolu religieux) et notre héritage rationaliste. C’est un langage merveilleux qui lie la connaissance des réalités naturelles (quand Rabhi explique par exemple la formation de l’humus) à une jubilation poétique pour la beauté du monde.
Alice Médigue 
[1] Documentaire de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat (2011) qui explore les collusions d’intérêts entre mondes médiatique et politique.
[2] J’utilise le terme de « scène mass médiatique », par opposition à la sphère des médias indépendants des pouvoirs (politique, économiques, de la finance…).
[3] L’homme sans gravité. Op.cit, p 156.
[4] Un monde sans limite. Un essai pour une clinique psychanalytique du social, Erès, Jean-Pierre Lebrun, 1997, p 152.
[5]La décennie, le grand cauchemar des années 1980. François Cusset, La Découverte, Paris, 2008, p 140. (Cf notes sur mon blog http://jalonsaujardin.wordpress.com/2011/12/03/le-cauchemar-des-annees-1980/)
[6] Op. cit, p 188.
[7] J’utilise le terme de « sujet » au sens de la psychanalyse, de sujet « désirant et pensant », riche d’une profondeur que ne connote pas le terme « individu ».
[8] La décennie, op.cit, p 241.
[9] L’homme sans gravité. Op.cit., p 157.
[10] L’éducation populaire, une utopie d’avenir. Les liens qui libèrent, Cassandre. 2012, p 128-129.
[11] L’homme sans gravité. Jouir à tout prix. Charles Melman, entretien avec Jean-Pierre Lebrun, 2002, Folio Essais, p 119.
[12] Jeu et réalité, l’espace potentiel, D.W Winnicott, Gallimard, 1975.
[13] La décennie, op.cit, p 193.
[14] L’homme sans gravité. OP.cit, p 79.
Alice MEDIGUE, 26400, Crest
En chemin d'écriture et de réflexions, portée par l'idée que la culture est un être vivant qui ne vit qu'à travers nos échanges ; c'est ce qui me porte pour écrire, contre le "mass système" (marchand, médiatique...) qui court-circuite nos liens et lamine notre monde commun. 
Dans l’élan de mes études (histoire et de sciences de l’éducation) et de mon expérience dans l’éducation populaire (via ATD Quart-monde notamment), j’écris articles et analyses pour contribuer au débat citoyen. A travers eux, j’aimerais informer et partager des réflexions en particulier sur notre rapport à la nature et sur les processus qui libèrent ou au contraire bloquent la construction d’une culture vivante et partagée. Auteure de deux livres Mémoires latino-américaines contre l’oppression. Témoignages d’exilés du Cône sud (1960-2000) et Temps de vivre, lien social et vie locale. (1) 
[1] http://www.yvesmichel.org/webmaster...

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