Information Participative

Médias Citoyens Diois continu !

Retrouvez-nous sur notre nouveau site :

http://mediascitoyens-diois.info

mardi 5 février 2013

Les bétonneurs nous emmurerons toutes et tous...



L’Organisation Todt, l’arme béton d’Hitler
Occupation : Avec la collaboration de nombreuses entreprises françaises, Hitler fait construire le Mur de l’Atlantique. Le maître d’œuvre de ce projet titanesque est l’Organisation Todt, véritable «Etat dans l’Etat».
Propos recueillis par Pascal Fleury
Lorsque Adolf Hitler décide de construire le Mur de l’Atlantique, en décembre 1941, son intention est double: protéger ses arrières tant que le gros de la Wehrmacht est encore engagé dans une lutte à mort sur le front russe, et dissuader les Alliés occidentaux de lancer une attaque sur l’autre front. Exigeant «une ligne de feu continue infranchissable», des Pyrénées à la mer du Nord, le Führer fait appel à la puissante Organisation Todt (OT), qui fut active sur tous les fronts pendant la Seconde Guerre mondiale. Les explications de l’historien français Rémy Desquesnes, auteur d’une thèse sur les défenses allemandes et spécialiste du Mur de l’Atlantique, un thème sur lequel il a écrit de nombreux ouvrages 1 .
Qui était Fritz Todt, dont l’organisation fut le maître d’œuvre du Mur de l’Atlantique?
Rémy Desquesnes:
Fritz Todt  était à l’origine un ingénieur des travaux publics et l’un des premiers compagnons d’Hitler. Il faisait partie du cercle des familiers du Führer. Il a d’abord été chargé par le dictateur de donner du travail aux millions d’Allemands alors au chômage en raison de la crise qui avait atteint le pays, depuis 1929. Grâce à la loi sur le service dû à l’Etat, il a pu mobiliser les plus grandes entreprises de travaux publics du Reich et ouvrir le chantier de construction des 3000 kilomètres d’autoroutes allemandes.
Au début de 1938, Todt, avec son organisation, a été chargé de construire, face à la ligne Maginot, le Westwall, que les Français baptiseront ligne Siegfried, un système qui compta au début des hostilités plus de 20 000 blocs de béton. Lorsque Fritz Todt meurt dans un accident en février 1942, l’architecte Albert Speer lui succède. Nommé ministre de la Production de guerre, Speer n’exerçait en fait pas directement le commandement de l’OT. C’est un autre ingénieur du parti nazi, Franz Xaver Dorsch, un grand rival de Speer, qui dirige l’organisation, devenue depuis la mort de Todt un département du Ministère de la
production de guerre.
Quelles étaient les compétences de l’Organisation Todt?
En fait, l’Organisation Todt n’était pas une gigantesque entreprise de travaux publics, mais l’agence officielle de construction du gouvernement du Reich. A ce titre, puisqu’elle était chargée d’une mission prioritaire, elle disposait d’une place privilégiée au sein du gouvernement: son chef avait le statut d’un ministre ordinaire mais il ne rendait des comptes qu’au Führer. Echappant au contrôle de l’administration officielle, l’OT ne dépendait pour son budget que de la chancellerie du Reich.
A noter que l’OT conservait le statut d’une organisation civile, bien que l’essentiel de ses travaux ait été effectué pour le commandement de l’armée. En toute logique, dans la mesure où, à partir de septembre 1939, l’OT ne faisait qu’effectuer des travaux pour la Wehrmacht, elle aurait dû être soumise au commandement de l’armée. Ce statut hybride va entraîner de perpétuels tiraillements entre les ingénieurs civils de l’OT et le donneur d’ordre, à savoir l’armée. A vrai dire, l’OT est progressivement devenue un «Etat dans l’Etat»:  c’est l’enfant gâté du parti mais un enfant d’une incroyable efficacité.
L’Organisation Todt était présente sur tous les fronts...
Pendant le conflit, l’Organisation Todt montrera une inlassable activité: elle agira sur tous les théâtres d’opérations (Ouest, Est, Italie, Balkans…). Elle construira des routes, ponts, emplacements de batteries d’artillerie, abris pour sous-marins, aérodromes, galeries souterraines, bunkers ou ouvrages fortifiés, bases de lancement de fusées. Elle réparera canaux, ponts, barrages hydroélectriques, et mettra à écartement standard des centaines de kilomètres de voies ferrées sur le front russe. L’ingénieur Todt avait même prévu, une fois la victoire acquise, de prolonger le réseau routier du Reich jusqu’à la côte atlantique, de relier par une grande route le cap Nord à Constantinople et de creuser un second canal de Suez à travers le Bassin aquitain, reliant l’Atlantique à la Méditerranée.
Le long des côtes françaises, l’Organisation Todt a veillé à la construction rapide du Mur de l’Atlantique, que le cinéaste Jérôme Prieur a qualifié de «monument de la collaboration» 2.
Dans quelle mesure les entreprises françaises ont-elles collaboré à la construction des bunkers?
C’est une question délicate. Il  n’y a pas de statistiques précises relatives au nombre d’entreprises de construction qui ont travaillé pour les Allemands durant la guerre. La seule approximation que l’on ait est fournie dans un document figurant dans les archives britanniques à l’Imperial War Museum. Dans ce compte-rendu d’interrogatoire des anciens dirigeants de l’Organisation Todt, réalisé juste après la fin de la guerre, Franz Xaver Dorsch déclare qu’entre «1000 et 1500» entreprises françaises avaient passé contrat avec l’OT. En réalité, pendant longtemps, les entreprises françaises n’ont pu être que sous-traitantes des grosses firmes de travaux publics germaniques.
Dans «Les patrons sous l’Occupation» (Ed. Odile Jacob), Renaud de Rochebrune et Jean-Claude Hazera parlent d’une «logique de gestion» adoptée par des PDG qui étaient «patrons avant d’être citoyens». Votre avis?
Aujourd’hui, il est bien difficile, hormis quelques cas de collaboration spontanée, de savoir qui était volontaire et qui était contraint, sous peine de voir ses ouvriers et son matériel réquisitionnés et dispersés. L’OT, qui recherchait avant tout l’efficacité, devait se tourner tout naturellement vers les grandes entreprises de travaux publics traditionnellement concentrées dans la région parisienne, le Nord et le Pas-de-Calais, les Bouches-du-Rhône ou la région de Rouen et du Havre.
Après-guerre, les entrepreneurs qui avaient eu une conduite indigne ont la plupart subi des sanctions d’ordre fiscal (amendes, confiscation des profits illicites), d’ordre professionnel (suspension par exemple de toute admission aux adjudications) et d’ordre pénal (emprisonnement…). Cela dit, en 1945, le gouvernement avait un urgent besoin des grosses entreprises de travaux publics pour réparer les infrastructures détruites par les bombardements et les combats…
Sur les chantiers du Mur de l’Atlantique, les ouvriers étaient-ils rétribués?
Les ouvriers volontaires et les requis travaillant sur les chantiers de «la Todt» – comme on disait à l’époque – touchaient un salaire. Les hauts salaires et les primes étaient même l’argument numéro 1 de la Todt, mais il y avait des limites: l’organisation ne pouvait offrir des salaires supérieurs à ceux promis aux ouvriers volontaires pour le travail en Allemagne. Tous les autres ouvriers contraints de travailler pour l’OT (juifs, prisonniers de guerre slaves, républicains espagnols réfugiés en France…) fournissaient une réserve de main-d’œuvre gratuite et illimitée.
Le 6 juin 1944, le Mur de l’Atlantique est tombé en quatre heures, sous les assauts des forces alliées.  Pourtant, l’Organisation Todt avait accompli un travail titanesque en un temps record...
L’Organisation Todt a été d’une extraordinaire efficacité dans la construction des bunkers, abris pour sous-marins et bases de lancement pour armes secrètes:  en 24 mois environ, elle a coulé 17 millions de mètres cubes de béton sur le front Ouest, soit l’équivalent d’une quinzaine de nos centrales nucléaires. Cela n’a pas empêché le Mur de l’Atlantique de tomber. Alors que la ligne Maginot avait été vaincue par une armée allemande mécanisée et bien entraînée, quatre ans plus tard, c’est sous les coups d’une armée supérieurement équipée et sûre d’elle-même que l’«Atlantikwall» s’est écroulé.
Pascal Fleury
1. Publications récentes de Rémy Desquesnes sur ce sujet: «Le Mur de l’Atlantique: Les batteries d’artillerie» (2012), «La bataille de Normandie» (2012), «Normandie 1944» (2009), «Le Mur de l’Atlantique – Du Mont-Saint-Michel au Tréport» (2009), Editions Ouest-France.
2. «Le Mur de l’Atlantique – Monument de la collaboration», documentaire à voir lundi 12 novembre sur RTS 2.
«Ruines encombrantes et humiliantes»
Du Mur de l’Atlantique subsistent aujourd’hui de nombreux vestiges. «Des fortifications allemandes seront sans aucun doute encore présentes dans 1000 ans sur les côtes de l’Europe de l’Ouest», observe l’historien  Rémy Desquesnes. Pour ce natif de Cherbourg, les bunkers sont considérés par la population comme «des ruines encombrantes et humiliantes, des réminiscences de la défaite, des sous-produits de l’Occupation».
«Symboles de domination, ces ouvrages évoquent dans la mémoire le déshonneur, la collaboration, les souffrances liées aux bombardements et au travail obligatoire. A demi-ensablés dans les dunes, battus par les vents, sans âme, ces cubes de béton ont été exclus de notre patrimoine monumental et enfouis sous les ordures», commente-t-il. Et d’ajouter, avec sarcasme: «Ces monstres constituent un bon repère pour savoir si un littoral s’engraisse ou s’érode. Mais plus profondément, ils demeurent les témoins de la folie d’un homme qui rêvait d’établir, par des moyens diaboliques, la domination de l’Allemagne sur l’Europe, pour un millénaire.»
Aujourd’hui toutefois, alors que les blessures se sont cicatrisées,  certains ouvrages de l’Atlantikwall commencent à être l’objet de mesures de protection. Quant aux célèbres plages de Normandie, où 156 000 soldats avaient débarqué le 6 juin 1944, elles font l’objet d’une demande d’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco. La région Basse-Normandie espère obtenir un classement pour le 70e anniversaire du débarquement, en 2014.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire