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dimanche 3 février 2013

Jazz mad in Albanie...

Elina Duni, Albanie mon amour

Son dernier album, lumineux, se concentre sur la musique de sa terre d’origine.
BLERTA KAMBO / ECM RECORDS
JAZZ .
 C’est de la Suisse, où elle a passé la plus grande partie de sa vie, qu’Elina Duni trace les contours musicaux d’une Albanie fantasmée. Rencontre à Berne.
On l’imaginait grande, impressionnante. Elle est menue, chaleureuse. En cette matinée pluvieuse, dans un café proche de la gare de Berne, Elina Duni a caché ses cheveux rouges sous une casquette noire. Volubile, elle n’a qu’une envie: parler de son nouvel album, Matanë Malit. Une qualité qu’on retrouve dans sa musique incroyablement accessible et pourtant hautement sophistiquée... Musique albanaise, donc, puisque Elina Duni est née sur cette terre d’Europe du Sud, qu’elle a quittée à 10 ans.
Ses souvenirs de sa «vie d’avant», encore sous le joug d’un communisme stalinien, sont joyeux. «J’habitais au centre de Tirana dans la maison de famille de ma mère. J’étais la seule enfant, j’étais choyée. Je passais mon temps à jouer dehors. Ce fut une période de ma vie libre et ensoleillée. J’aimais déjà chanter et, à cinq ans, il m’arrivait de me produire avec un grand orchestre de trente musiciens. La scène était quelque chose de naturel. Mon père était metteur en scène, ma mère écrivaine et poète. Evidemment, si j’avais été adolescente là-bas, cela aurait sûrement été très dur – du fait  de la situation politique, du fait d’être une femme.»
SES COPAINS, LES BEATLES
Elle en sait quelque chose, elle dont la mère osait ce qu’on n’ose pas dans un pays ultra machiste. «On était considérées comme des putes du simple fait que ma mère ait divorcé. Mais elle était très forte. Elle dépassait tout ça avec une forme de légèreté.» Lors de son arrivée en Suisse, à Lucerne, les choses changent radicalement. «J’ai passé d’un monde de lumière à un monde de solitude et d’insignifiance. Je me suis confrontée à moi-même. C’est là que j’ai découvert les Beatles. Je passais mes journées avec eux... Ils étaient devenus mes amis!» Huit mois plus tard, mère et fille refont leurs bagages pour s’installer à Genève. Elina Duni se fond dans cette ville cosmopolite où elle n’a plus l’impression d’être la «pauvre petite Albanaise». Elle s’intègre, commence des études de jazz, qu’elle poursuit ensuite à Berne.
Aujourd’hui, Elina Duni se sent Suissesse et Albanaise, un peu citoyenne du monde aussi. De cette famille d’intellectuels (son grand-père, écrivain comme sa mère, a été mis au ban du régime communiste pendant vingt-cinq ans), Elina Duni a gardé une certaine exigence. Elle parle cinq langues et a travaillé sa voix avec autant de persévérance que d’habileté. Un travail récompensé aujourd’hui, puisque Matanë Malit sort chez ECM, le plus prestigieux label de jazz actuel. Avant ça, il y a eu Barescha et Lume Lume où elle chantait dans plusieurs langues, pour la plupart balkaniques.
MONTAGNES ET MYSTERE
Matanë Malit (littéralement «Par delà la montagne») va plus loin. Il se concentre exclusivement sur l’Albanie. Les douze chansons de ce répertoire ont été sélectionnées «au feeling», lorsqu’elle sentait que sa contribution pouvait être un apport significatif. S’y côtoient ainsi des chants folkloriques, des titres de jazz subversifs et des chansons de la diaspora grecque, ou encore un chant entendu fredonné par son grand-père et reconstruit pour l’occasion. Et puis il y a ces deux chansons d’amour, «Mine Peza» et «Ka Një Mo», qu’elle transforme en hymnes quasi religieux. «Il est clair que dans ce genre de morceaux l’interprète sent très vite qu’il n’est qu’un moyen, qu’il est porté par quelque chose de plus grand, de spirituel. Le lyrisme est tellement beau que ça fait mal.» Il arrive aussi à Elina Duni de faire œuvre de réhabilitation. Par exemple lorsqu’elle restitue les paroles originales d’une chanson sur l’émancipation des femmes que le régime communiste avait transformée en un chant patriotique, proposant une vision de la femme nettement plus asservie.
En se concentrant sur la musique de sa terre d’origine, en l’épurant, en l’abordant avec la liberté de quelqu’un qui cherche à tout transformer, Elina Duni se dépasse. Tout semble simple, naturel, comme si les fantastiques musiciens  qui l’entourent – Colin Vallon (piano), Norbert Pfammatter (batterie) et Patrice Moret (contrebasse) – avaient tous des gènes albanais... «La technique doit toujours être au service de l’émotion. Mais il est clair que ce disque n’aurait pas été possible sans mon quartet, avec lequel j’atteins un niveau de complicité immense. D’autant que j’ai toujours considéré ma voix comme un instrument.»
INSPIRANT CHAOS
Ça tombe bien, Matanë Malit a été enregistré par le grand manitou d’ECM, Manfred Eicher, en quelques jours. Il bénéficie donc d’une diffusion internationale. Déjà salué en France et en Allemagne, il sera bientôt refaçonné à moindre coût afin d’être disponible sur le marché albanais. Un bol d’air frais dans un marché local dominé par le turbo-folk et les synthétiseurs. Elina Duni donnera quelques concerts sur sa terre natale, où elle retourne régulièrement et où elle avait déjà effectué une tournée il y a deux ans. «Toute une partie du public albanais est en manque d’acoustique et de poésie», constate la jeune femme. «L’Albanie est en perte de valeurs. La solidarité a été remplacée par un capitalisme sauvage. En même temps, je trouve ce chaos inspirant. Il y a une belle énergie, une grande vitalité. J’aimerais bien faire quelque chose pour l’environnement, mais je ne sais pas vraiment quoi.»
Le café est terminé, Elina se lève et nous raccompagne jusqu’à notre train, conversant allègrement à propos de son prochain concert parisien ou se remémorant une soirée mythique passée avec la patronne excentrique de l’ex-cave à jazz lausannoise Pianissimo. Puis elle repart et se fond dans le flot des passagers descendus du train. Une rencontre intense et lumineuse à l’image de son dernier opus, qu’on ne se lasse pas d’écouter et de réécouter.
 
Elina Duni, Matanë Malit, ECM/Harmonia Mundi.
 www.elinaduni.com
Elisabeth Stoudmann

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