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dimanche 24 février 2013

Illuminations rimbaldiennes...

Illuminations rimbaldiennes


( Photo. Pour le cinéaste, la scène du sauna est «une forme de re-naissance qui rejoint de manière pudique, apaisée, les représentations iconiques de pietà»).

«POST TENEBRAS LUX» S’inspirant de Tolstoï, Carlos Reygadas livre une méditation grave, saugrenue et baroque sur la vie. Un joyau de cinéma sensoriel et une fable eschatologique à nulle autre pareille.
A l’instar de l’écrivain mexicano-colombien Fernando Vallejo, Carlos Reygadas a bâti une œuvre cinématographique qui souligne le deuil d’une humanité rêvée. Repenser le cinéma depuis le point aveugle de la sensation, retrouver l’horizon de ses possibles dans le brouillard éblouissant des affects: ce serait le théorème du réalisateur, et c’était, onze ans en arrière, le chantier ouvert par son Japon. Passionnant à bien des égards, Post Tenebras Lux exacerbe une contradiction inhérente à la méthode Reygadas: une manière d’appeler le spectateur à habiter le plan, à venir au contact, tout en rendant volontiers ses images proprement inhabitables. Ce balancement n’est pas pour rien dans le déchaînement critique suscité par l’opus. En voulant fixer ses vertiges dans une expérience des limites, le cinéaste se place dans le sillage de Rimbaud dans «la tentative harmonique» de déconstruire, voire détruire le monde, et de le refaire, ici par l’écriture imagée poétique de l’énigme. Si la tentative retombe parfois, du moins nous vaut-elle le moment même de l’illumination.
Voir et revoir le film, pour comprendre combien les personnages font une expérience de la solitude qui leur permet tout à la fois d’échapper aux terreurs du monde mais aussi de se cloîtrer en eux-mêmes, dans une position simultanée, ambiguë, de libération et d’enfermement. La nature elle-même participe à ce mysticisme, nature que Reygadas filme dans ses manifestations charnelles: pluie, vent dans les arbres, et surtout ciels composés comme pour un tableau, dont le caractère bienveillant ou orageux est un indice ou non du déroulement des événements, parfois une indifférence terrible au sort des humains.
DECOR PRIMITIF
Il faut voir de quelle manière poignante le protagoniste principal, Juan, reconduit sur son lit d’agonie léthargique l’un des monologues du comte Pierre Bézoukhov, personnage de Guerre et Paix, de Tolstoï, assistant avec lucidité au déroulement de sa vie, et capable d’un détachement hier plein d’angoisse, de rage impuissante et aujourd’hui serein. Les gestes infimes, les émotions spontanées remontant à l’enfance lui permettent de se connaître bien mieux que la manière dont il tente de résoudre ses problèmes de couple et ses doutes.
L’action est presque entièrement circonscrite dans un cadre unique et primitif, un décor qui semble venu du fond des âges, un pays de forêts, dans l’Etat de Morales, au Mexique. Et au milieu une maison, celle que le cinéaste venait de se faire construire, comme un monolithe fiché aux abords d’une étendue d’eau. Le film déploie, dans un calme cosmique, un récit rudimentaire : un jeune architecte, amoureux de la nature, tente de vivre une relation fusionnelle avec elle, mais tout se délite de l’intérieur et sous les coups notamment de la jalousie et de l’envie suscitées par des proches. Fortuitement, il est blessé par un forestier et cambrioleur occasionnel qui s’arrache in fine la tête au lointain, tout en douchant l’image de teintes violacées, délavées. Le film se clôt sur un match de rugby entre adolescents marquant simplement que, pour évoluer et s’affirmer, il faut faire montre d’un sens du collectif. Evidemment, le réalisateur n’a pas oublié qu’il fut rugbyman doublé d’un étudiant en droit confronté aux meurtres de policiers mexicains souvent décapités rituellement par les cartels.
«HYMNE A LA VIE NATURELLE»
Transitant par des paysages évoquant des compositions surréalistes ou un réalisme plus halluciné que magique, l’opus est cet «hymne à la vie naturelle» cher à Tolstoï et au peintre et philosophe Henri David Thoreau. Le cinéaste mexicain excelle à mêler contemplation sensuelle sans le barnum panthéiste d’un Terrence Malick et des fulgurances visionnaires loin d’être aussi tourmentées, sulpiciennes et catho révulsées que l’un de ses devanciers putatifs, Buñuel. En floutant les contours de son image, permettant de dédoubler en échos pulsionnels les êtres et paysages filmés, Reygadas renoue avec une évidence énoncée par le réalisateur français Philippe Grandrieux (Sombre, Un Lac): pour mieux percevoir kinesthésiquement des couches subtiles de l’image-sensation, il faut moins voir.
D’où, comme chez Tolstoï, les associations de sensations, les transcriptions dans les réalités, peut-être rêvées, de menus faits, pour déboucher sur la révélation de la vie. Ainsi la scène d’ouverture marque-t-elle comme rarement. Extérieur d’heure bleue, cette poignée de minutes qui filent entre les dernières morsures diurnes et les griffures du crépuscule. Tout a ici la forme du conte. La fillette du cinéaste vagabonde dans une cuvette boueuse au milieu de chiens domestique, qui sont loin d’être des lémures infernaux. Elle les désigne de leurs prénoms bibliques, dont l’un est le gardien tutélaire de la maisonnée.
«C’est le regardeur qui fait le tableau», lâchait Duchamp. La scène la plus injustement controversée est celle du club échangiste français sis dans un sauna. Le couple formé par Juan et sa juvénile épouse, cherche la chambre Marcel Duchamp pour une initiation. Alors qu’une femme âgée prodigue consolation, chastes caresses sororales à l’épouse incarnée par une actrice amateur, cette dernière connaît l’acmé voluptueuse comme une révélation, entre lumière et douleur, prise par des partenaires multiples dont on ne verra ni sexe ni corps. Aux yeux du cinéaste, «c’est une forme de re-naissance qui rejoint de manière pudique, apaisée, les représentations iconiques de pietà». 
Bertrand Tappolet

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