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mardi 12 février 2013

Fantasme et filiation...



Secret, mensonge, fantasme et filiation.
Dans notre activité clinique avec les enfants, les adolescents, et les familles, nous constatons, au quotidien, que beaucoup de souffrances psychiques sont la conséquence d'un traitement aléatoire, falsifié, fantaisiste,  voire contradictoire, de leur histoire personnelle. Une grande partie de notre travail consistera, au fil des rencontres, à faire émerger, dans les récits qui se déploient en toute liberté, des pensées, des souvenirs, des "aveux", l'expression de fantasmes, de dénis, de contradictions, qui éclaireront sous un jour nouveau certains vécus douloureux, des questionnements obsédants, des angoisses persistantes. Les symptômes qui amènent ces jeunes ou leur famille à nous rencontrer sont aussi bien des difficultés scolaires, sociales, somatiques, et dans les familles des problèmes relationnels :
Bastien, depuis tout petit, avait entendu sa mère lui dire qu'il était le fruit d'une rencontre avec un bon ami, « de passage », qui s'était « enfui », quand il avait appris qu'elle était « tombée » enceinte. Des proches, souvent des amis de sa mère, soulignaient à quel point il ressemblait à son frère aîné, issu, lui, d'un mariage précédent. Comme il avait compris très vite que le sujet était plus que délicat, il s'était dit qu'un jour  sans doute, quelle que soit l'option à retenir, il finirait bien par connaitre la vérité. Mais, à l'adolescence, à la faveur d'un conflit un peu plus violent que les autres avec sa mère, celle-ci lui « balança » que, décidément, « il ne pouvait être que « mauvais », vu les conditions dans lesquelles il avait été conçu, c'est à dire dans l'inconscience et la violence, avec un inconnu... une « brute », un « fou ». Cet épisode douloureux de sa vie sera suivi d’un long temps de confusion et d’agitation. Il aura fallu, pour que Bastien retrouve un certain équilibre et une meilleure relation avec sa mère, qu’elle accepte de revenir, en sa présence, avec des paroles apaisées et bienveillantes, sur l’énigme de ses origines. Elle devait, par là même, revisiter sa propre histoire et dérouler avec sincérité le récit d'un autre scénario, dans lequel elle ne jouait forcément pas le « beau rôle », et ou son « partenaire » n'était pas forcément le « monstre » supposé. Peut- être cette crise était- elle nécessaire pour créer dans leur relation, si fusionnelle aux dires de tous, un peu d’espace, et leur permettre de s’éloigner sans violence. Leur histoire commune inscrite sous le sceau du secret, du déni, et du silence, les ligotait l’un à l’autre dans une souffrance muette.
L’histoire que nous livre Marion, comme celle de Bastien, mais peut être plus encore, est lourde de secrets et de mensonges :
C’est à l’occasion d’une demande d’IVG, que nous la rencontrons. Elle a 16 ans et vient à l’hôpital avec son ami, après beaucoup d’hésitations. «  Moi je voulais le garder, c’est mes parents qui n’ont pas voulu, ils disent que je suis trop jeune et que je n’ai pas de travail. Mais avec mon copain on était fou de joie. D’abord on ne l’a dit à personne, on a passé une semaine de rêve, mais après je l’ai dit à ma mère et là elle m’a dit « on va te faire avorter ». Je l’ai haïe, les parents on ne sait jamais ce qu’ils ont dans la tête, enfin je dis mes parents, mais c’est mon oncle et ma tante. 
Manon évoque alors un imbroglio familial où l’on peine à se retrouver : « Quand j’ai eu 8 ou 9 ans, dit-elle, on  m’a appelée. Il y avait aussi mon oncle, enfin celui que je croyais mon oncle et on m’a dit : ton oncle c’est ton père, ton père c’est ton oncle et ta tante c’est ta mère ».
On comprend que Manon, dont la mère biologique est partie quand elle avait 6 mois, a été élevée par son oncle, le frère de son père, marié avec sa tante, la sœur de sa mère ! Mais les choses se compliquent encore puisqu’un soir de colère, alors qu’elle venait d’avoir 14 ans, son père (« mon vrai père » dit-elle) lui assène qu’il n’est en fait pas son père car il épousé sa mère alors qu’elle était enceinte d’un autre…
C’était il y a deux ans. Confusion absolue, chaos. Manon parle de cette révélation comme « d’un sale coup fait par sa mère biologique » à qui elle ne pardonnera jamais, déversant sur cette mère définitivement absente, toute l’agressivité et la colère qu’elle peut porter à l’encontre d’ adultes si peu fiables.
La naissance de l’enfant de sa cousine (qu’elle croyait sa sœur), coïncide avec cette révélation. Au milieu de tous ces mensonges, de tous ces secrets, Manon semble avoir trouvé auprès de ce bébé, qu’on lui confie souvent, un réconfort certain, comme une manière d’adoucir par la tendresse qu’elle lui témoigne toute la violence de son histoire. C’est là, dit-elle, qu’elle situe son désir d’avoir un enfant à elle.
On peut supposer que chez Manon, ce désir d’enfant réparateur, restaurateur, enfant idéal et parfait, s’inscrit dans le trouble qui est jeté sur son identité par des révélations successives, réactivant l’image archaïque de la mauvaise mère, qui non seulement l’a abandonnée quand elle avait 6 mois, mais qui en plus la conçu avec un géniteur qu’elle ne pourra sans doute jamais reconnaitre. Mais son désir d’enfant, qui aujourd’hui a pris corps, qui est devenu un projet très concret, se heurte à la réalité de ses parents qui le trouve inacceptable. Cette injonction suscite d’abord chez Manon de la révolte mais ensuite l’adhésion : « je suis d’accord dit-elle, mes parents c’est eux qui ont raison ».
Peut- être cette IVG « sacrifice » que Manon consent à ses parents est –elle là aussi pour confirmer qu’elle est bien leur fille ? Se soumettant à leur volonté, à leur « loi », elle réassure le lien de filiation qui les unit, réassurance absolument nécessaire qui tempère l’épreuve de l’IVG.
Ces deux exemples témoignent de l’immense difficulté et du flot de souffrances, que représente le fait de grandir dans un "climat" de secret, de mensonge et de fantasme, autour leurs origines.
Mais nous rencontrons aussi des familles qui semblent fonctionner avec l'exigence d'une loi intérieure tyrannique où le déni et la culpabilité tiennent une grande place, à l'insu même de leurs membres. Les limites qu’impose, dans sa réalité et son organisation, toute vie en société, sont alors inefficaces car inenvisageables. C'est le cas notamment de ces enfants qui nous apparaissent, de plus en plus souvent, installés à une place d’objet « fétiche », objet narcissique de leurs parents incapables de leur fournir une réelle autonomie dans leur développement, entravant leur évolution psychique, hypothéquant alors une réelle sécurité intérieure.
Dans notre pratique clinique il est clair  que toutes les configurations familiales peuvent nous donner l'occasion de mettre en lumière des problèmes de filiation, qu’ils soient d’origine génétique ou psychique.
Dans le débat actuel concernant le développement des modalités, médicales ou non, de conception d'enfants –PMA, GPA- notre position de consultants et de thérapeutes n'est pas de délivrer des « certificats de normalité », tant sur les pratiques sexuelles que sur les choix individuels de conception d'enfants et... de familles.
En revanche nous voulons témoigner de la nécessité impérieuse , pour un développement psychique des enfants le plus harmonieux possible, et quelques soient les conditions de leur conception, de leur tenir un discours de vérité, de sincérité et de confiance, au fur et à mesure de leur évolution, dans la famille et dans la société en général.
La conception d'un enfant n'est pas qu'une affaire de biologie et de génétique, de même que la conception d'un couple parental n'est pas qu'une affaire sociale et juridique.
Si la Loi doit organiser les règles permettant aux individus de vivre en société, elle doit aussi protéger leur cadre de vie, notamment celui des enfants, en leur donnant toutes les possibilités de développer leur identité et leur sécurité. Ils pourront alors d'autant mieux s’affirmer en tant que sujet et assumer leur différence, au sein de leur famille d’abord puis dans leurs groupes d'appartenance ensuite.
Rien n'est plus enrichissant pour le développement d'un enfant...et de tout sujet en général, que l'ouverture à l'autre, à la différence, dans le respect de la singularité de chacun, mais sans oublier de faire usage de ces deux outils fondamentalement humains que sont l'écoute et la parole de vérité.
Béatrice Copper-Royer et Francis Moreau.

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