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vendredi 13 juillet 2012

Notre histoire : le 1er Mai...


EN 1890 NAISSAIT LE 1ER MAI
Pour la première fois de l'histoire, des cortèges de manifestants se sont ébranlés simultanément, pour la même cause, dans de nombreux pays européens et aux Etats-Unis.
Cette première fête du 1er Mai est tombée un jeudi. Il faisait beau et dans toute l'Europe des grèves et des combats de rue étaient annoncés. En Suisse, le travail s'est déroulé normalement dans la plupart des entreprises. Du moins jusqu'à midi. Vers 14h, dans le quartier populaire du Niederdorf à Zurich, plusieurs centaines de travailleurs se sont regroupés puis ont défilé jusqu'au quartier des affaires Enge, de l'autre côté de la Limmat. Une fanfare était présente, les manifestants chantaient, sur la terrasse d'un restaurant les discours alternaient avec des numéros de gymnastique. Les gens arboraient un ruban de soie rouge portant l'inscription: «8 heures de travail – 8 heures de loisirs – 8 heures de sommeil». On pouvait lire sur une pancarte: «A bas les journées de 14, 16 ou 18 heures de travail!» Quand le cortège, auquel plus de mille personnes s'étaient jointes entre-temps, s'est remis en mouvement, un groupe de femmes attirait tous les regards. La Neue Zürcher Zeitung a décrit la scène: «Une troupe de travailleuses offrait un spectacle inhabituel; en tête marchaient trois jeunes filles portant des écharpes rouge vif, celle du milieu brandissant un drapeau de cette couleur.»
Invention du 1er Mai
C'était le 1er mai 1890. L'été précédent, une Conférence internationale des travailleurs organisée à Paris avait fixé cette date pour une manifestation qui aurait lieu dans tous les pays industrialisés. La conférence avait choisi le 1er mai en souvenir du massacre du Haymarket à Chicago où, trois ans plus tôt, une grève avait été réprimée dans le sang. La date paraissait prédestinée pour exprimer des revendications collectives aux Etats-Unis, où les contrats de travail étaient traditionnellement renouvelés ce jour-là. Et dans l'Europe préindustrielle les compagnons avaient souvent séché le travail le 1er mai pour fêter le retour du printemps.
En 1890, quand il est apparu que les manifestations décidées à Paris auraient lieu dans toute l'Europe, les puissants sont devenus nerveux. A Berlin par exemple, l'armée a été déployée non seulement dans les quartiers ouvriers, mais aussi aux abords du Wannsee – pour protéger les riches propriétaires de villas qui, après des décennies de dictature bismarckienne et de lois antisocialistes, craignaient tout à coup pour leur sécurité. A Paris, la police a arrêté la veille plusieurs anarchistes et prétendu avoir confisqué tout un arsenal d'armes.
La journée de 8 heures
La Suisse n'a pas connu de telles tensions sociales, même si le Journal de Genève a mis en garde contre les «mobilisations pacifiques». A ses yeux, l'agitation, la violence et les chamailleries menaçaient depuis longtemps la prospérité helvétique.
Face à la volonté des manifestants de réduire dans tous les pays, par voie légale, la durée du travail (huit heures de travail six jours par semaine!), le Journal de Genève avait déjà utilisé une argumentation que l'on entend souvent encore répéter. Selon le journaliste, l'Internationale socialiste visait avec son slogan «8 heures de travail, 8 heures de loisirs et 8 heures de sommeil» à rendre le sommeil obligatoire et à forcer l'Etat à réglementer les questions relevant de la sphère privée. En outre, elle trompait les travailleurs zélés et préférant le travail à l'oisiveté.
En dehors de Zurich, des cortèges en plein air ont sillonné, ce 1er mai 1890, Genève, Lausanne, La Chaux-de-Fonds, Bienne, Bâle, Berne, Lucerne, Saint-Gall, etc. A Berne, les ouvriers relieurs avaient confectionné un livre géant sur lequel on pouvait lire: «Rapport sur le 1er mai à l'avocat général», comme s'ils avaient anticipé que le mouvement ouvrier allait faire l'objet d'un espionnage étatique pendant les cent années suivantes. Des fêtes ont été organisées le soir à plus de trente endroits, sans qu'aucun débordement révolutionnaire ne soit signalé, à l'exception de quelques vitres cassées à Genève. Détail piquant, deux drapeaux rouges et deux drapeaux à croix blanche ouvraient le cortège dans cette ville.
La première fête du 1er Mai s'est déroulée tout aussi sagement dans la plupart des villes allemandes et austro-hongroises – de Cologne à Prague et Budapest . Il faut dire qu'en Allemagne, comme en Italie, la grève était interdite. Une bombe a explosé à Livourne, des coups de feu ont été tirés à Turin, à Naples comme dans certains centres industriels français les troupes sont intervenues pour rétablir l'ordre.
«Si seulement Marx était là!»
Si un soulèvement anarchiste a été signalé à Barcelone, le cortège est resté pacifique à Lisbonne. En Belgique, 200 000 personnes ont manifesté sans incident, et à Copenhague 40% des travailleurs sont descendus dans la rue. A Londres, où la manifestation avait été fixée au dimanche 4 mai, 300 000 personnes se sont réunies à Hyde Park. A Paris enfin, d'où avait été lancé l'appel à manifester, il y a eu de petites escarmouches aux abords de la place de la Concorde et de la Bastille. Selon la presse, ce sont surtout des manifestants étrangers qui ont été arrêtés (Belges, Allemands... ou Suisses).
Or personne ne s'est attardé sur ce genre d'anecdotes. Car quelque chose de bien plus important s'était passé: pour la première fois de l'histoire, des individus d'un même continent – et d'outre-Atlantique – avaient formulé simultanément, ce jour-là et de la même façon, les mêmes revendications. «Si seulement Marx était encore à mes côtés pour voir ça!» s'exclamait à Londres Friedrich Engels, alors septuagénaire. Le 1er Mai, écrivait cent ans plus tard l'historien Eric Hobsbawm, est la seule fête internationale n'ayant pas été introduite par l'Eglise et les pouvoirs publics, mais à l'initiative des travailleuses et travailleurs.
Stefan Keller

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