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samedi 1 octobre 2011

Rompre avec le culte de la performance...


Rompre avec le culte de la performance
Michel Godet livre une tribune qui constitue un remarquable condensé de la pensée mortifère qui est en train de détruire l'Europe sinon de préparer des guerres que nous croyions désormais impossibles.
Michel Godet lance d'abord un décret d'excommunication contre les Grecs. Ils ne sont pas capables de rester dans le bateau ? Jetons-les donc par-dessus bord ! Ils ne méritent pas de rester dans la zone euro, ni même dans l'Europe. L'excommunication ne s'arrête pas là : il nous faut désormais faire le nettoyage dans l'Euroland et en Europe, suggère M. Godet, de manière à en exclure ceux qui ne sont pas capables de respecter les critères et de faire comme notre nouveau modèle : l'Allemagne. Pourquoi l'Allemagne ?
Les Allemands travaillent dur et beaucoup, ils se sont serré la ceinture, ont accepté des années de modération salariale et de réformes de leur protection sociale, tous ceux qui ne sont pas capables de faire comme eux doivent quitter le navire. La ligne de démarcation que Michel Godet propose est claire : il y a d'un côté les pays du Sud, dont il n'a pas même besoin de préciser qu'ils sont paresseux et profiteurs, et qui ne méritent pas de rester en Europe, et de l'autre ceux du Nord, travailleurs, économes, rigoureux. Faudrait-il donc couper l'Europe en deux et ne conserver que les pays du Nord ?
Et que penser d'une réflexion qui ne fait que généraliser les oukases et les expressions de haine qui traversent les nations elles-mêmes, qu'il s'agisse des Belges ou des Italiens ? Le nouveau critère de triage serait donc devenu le travail et la capacité à travailler dur et à se lever tôt pour gagner la bataille économique dans laquelle on nous somme de nous maintenir depuis plus de trente ans. Cette vision appelle deux remarques.
La première concerne ce fameux critère qui devrait nous permettre de séparer le bon grain de l'ivraie, les bons Européens capables de travailler dur et de se lever tôt - les nordistes - des jouisseurs, profiteurs et paresseux - les sudistes. Faut-il rappeler à Michel Godet que le nombre d'heures travaillées est un bien piètre indicateur des performances économiques ?
Que ceux qui travaillent le plus en Europe sont ceux dont le PIB par habitant est le moins élevé et que la durée de travail hebdomadaire des Allemands et des Néerlandais, mais aussi des Suédois et des Danois - le coeur des pays du Nord... - est moins élevée que celle de la France, que M. Godet semble considérer comme presque sudiste, notamment depuis l'entrée en vigueur de la réduction du temps de travail, qu'il a toujours considérée comme le début du déclin français. Comment s'explique cela ?
D'une part, dans le calcul de la durée hebdomadaire de travail, on doit se garder de ne considérer que les emplois à temps complet mais on doit aussi prendre en considération les temps partiels, ce qui fait chuter la moyenne (car dans les pays du Nord, il y a beaucoup de travail à temps partiel, contrairement aux pays du Sud où les femmes travaillent moins). D'autre part, ce qui compte pour la performance économique n'est bien sûr pas le nombre d'heures travaillées mais la productivité horaire et c'est donc sur la base de la productivité horaire ou du PIB par habitant qu'il faudrait comparer les pays européens et fonder le palmarès.
Mais, au-delà de ce constat, est-ce une bonne chose de continuer à conserver comme indicateur prioritaire de réussite ce type d'indicateur ? Au-delà de la productivité horaire, est-il légitime de considérer que les nations les plus performantes sont celles qui produisent le plus, alors même que nous savons de façon certaine que la croissance s'accompagne de dégâts environnementaux (et sans doute sociaux) et qu'il est désormais urgent de prendre les mesures nécessaires pour éviter une dégradation irrémédiable des conditions qui rendent notre planète habitable.
Le critère privilégié de performance devrait être la capacité à produire les biens et services nécessaires pour permettre aux nations de s'inscrire dans la durée, c'est-à-dire à produire en mettant à la disposition de la population les biens et services dont celle-ci a besoin tout en réduisant au maximum les atteintes à la biodiversité. Ce n'est ni le "travailler plus pour gagner plus", ni le "travailler plus pour produire plus" qui devrait donc guider l'évaluation de Michel Godet, mais d'autres critères, bien différents : ou bien le rapport Stiglitz commandé par le président de la République n'aurait-il été que poudre aux yeux ?
La seconde remarque est d'un autre ordre. Elle concerne la responsabilité des "intellectuels" ou "savants" dans le processus de crise que connaît l'Europe. Godet promeut une philosophie du séparatisme, qui vise à distinguer les bons des mauvais et dont on ne voit pas du tout où elle devrait s'arrêter. Il faudrait chasser les plus faibles, les plus pauvres, parce qu'ils n'auraient pas fait ce qu'il fallait, parce qu'ils seraient paresseux, parce qu'ils ne voudraient pas travailler. Il faudrait chasser ou réduire à rien non seulement les Roms mais aussi les allocataires du revenu de solidarité active (RSA), au moins ceux qui n'ont pas retrouvé de travail, puisque c'est de leur faute s'il en est ainsi. C'est de leur faute s'il n'y a plus d'emploi accessible et s'ils ne veulent pas prendre les miettes d'emploi que la mise en oeuvre du RSA avait pour objectif de rendre plus supportables (donc de légitimer).
Mais où nous arrêterons-nous ? Demain, les voisins de Michel Godet, travaillant moins que lui, ou de façon différente, ou produisant une portion de PIB plus petite devront-ils être mis à l'index ? Avec qui voulons-nous vivre ? Qui nous dira les critères d'une bonne société ? Le devoir des intellectuels n'est-il pas, plutôt que de séparer, de tenter de rassembler, et ne devrions-nous pas mettre tous nos efforts en commun pour définir ce que pourraient être des Etats-Unis démocratiques d'Europe, au sein desquels une vraie solidarité serait organisée ?
Un projet bien plus exaltant, bien plus enthousiasmant, bien plus prudent aussi que le séparatisme. Un projet fondé sur la préservation de notre patrimoine naturel et de notre cohésion sociale. Un projet dont le premier bienfait serait de tenir écartée la menace du retour de la guerre au sein de l'Europe, un projet qui contribuerait à la réalisation de cette paix perpétuelle que Kant appelait de ses voeux.
Dominique Méda, professeure de sociologie à l'université Paris-Dauphine

Rappel du Texte de Michel Godet
Les trois banques françaises qui ont dévissé dans leur valeur boursière durant l'été du fait de leurs créances douteuses sur la Grèce (valeur divisée par deux pour BNP-Paribas et le Crédit agricole, par presque trois pour la Société générale) seraient emportées par le tsunami financier qui déferlerait si la gangrène gagnait l'Italie. En effet, leurs engagements y sont bien plus élevés qu'en Grèce et approchent les 40 milliards d'euros !
Il est temps de siffler la fin de la récréation. On peut appartenir à l'Europe des Vingt-Sept sans être dans la zone euro à seize. Pour mériter cette dernière, il faut cesser de tricher ou de jouer à l'Europe buissonnière et prendre modèle sur les meilleurs élèves : l'Allemagne, mais aussi l'Autriche et les Pays-Bas ou la Finlande. Il n'y a pas de précédent historique de monnaie sans épée : il aurait fallu instaurer une monnaie commune et non pas unique.
Les Allemands ont raison de conditionner leur aide à des contreparties de rigueur. Ils n'ont, pas plus que les Français, à devoir payer les impôts des Grecs. C'est pourtant ce qui s'est passé cet été : la France s'est engagée à hauteur de 15 milliards d'euros pour soutenir la Grèce. Pour ne pas accroître sa propre dette d'autant et risquer de dégrader sa signature, le gouvernement français a lancé en urgence un plan de rigueur à hauteur de 12 milliards d'euros. On relèvera la perversité des services de Bercy qui parlent de "réduction des dépenses fiscales" pour désigner des augmentations de recettes qui justement permettent de continuer à dépenser plus. Comme pour mieux faire oublier que l'on ne s'attaque pas à l'essentiel : la réduction des dépenses publiques de fonctionnement et d'assistance !
Augmenter les impôts sans s'attaquer au gras du mammouth est suicidaire. Réduire la dépense publique où la France détient des records européens (avec 54 % du PIB) est pourtant la voie prioritaire pour retrouver une croissance saine et vertueuse. Dans le passé récent, la Suède et le Canada ont montré le chemin. C'est donc possible. A ce jour, aucun des candidats à la présidentielle de droite comme de gauche ne tient ce discours.
Ainsi, la France vit au-dessus de ses moyens depuis trente ans. On a amorti la crise en finançant la consommation par la dette. La France recule : son PIB par habitant est inférieur de 10 % à celui de l'Allemagne alors qu'en 1980, il était supérieur de 4 %. Derrière la richesse créée par habitant, il y a les cercles vertueux de la compétitivité et du temps de travail productif. La France a 10 points de dépenses publiques de plus que l'Allemagne, et elle a perdu 10 points de compétitivité-prix depuis dix ans : les deux phénomènes sont liés, et c'est ainsi que 40 % de notre déficit industriel vient de l'Allemagne, et non pas des pays à bas salaires.
La France a reculé en niveau de vie, parce qu'elle travaille deux à trois semaines de moins par habitant et par an que ses voisins. Elle est devenue moins compétitive en raison du coût du travail et des charges. La mondialisation n'est donc pas en cause puisque 40 % de notre déficit industriel provient de l'Allemagne dont le coût horaire du travail dans l'industrie est désormais comparable au nôtre mais avec la qualité des produits et des services en plus. Il y a dix ans, les exportations françaises représentaient 55 % des exportations allemandes, aujourd'hui c'est 40 % seulement. La différence entre l'excédent allemand et le déficit extérieur français est de l'ordre de 200 milliards d'euros !
Si la France continue à vivre au-dessus de ses moyens en prenant dans la poche de ses enfants (en 2010, la croissance du PIB de 1,5 % a été obtenue par 7 % de PIB de dette supplémentaire !), elle finira comme la Grèce. Notre endettement représente déjà 85 % du PIB et les déficits publics continueront tant que l'on ne réduira pas la dépense.
La seule différence, qui explique notre fameuse note AAA, c'est qu'on a une réputation (justifiée) d'efficacité dans notre capacité à lever de l'impôt. Si c'est la droite des déficits publics et des renoncements qui l'emporte, on ne pourra pas réformer, et si c'est la gauche démagogique qui refuse de voir les dégâts des 35 heures, on va se retrouver, comme en 1981, avec des promesses dangereuses à tenir à grands renforts d'assistance, d'emplois publics... mais, cette fois, le tournant de la rigueur arrivera au bout de six mois ou neuf mois, car l'euro nous oblige plus que le franc à ne pas trop dérailler.
On dira que la Grèce souffre avec une régression de 5 % de son PIB en 2010. Mais les Pays baltes (Lettonie, Lituanie et Estonie) ont connu pire en 2009, avec un recul de plus de 15 % de leur PIB. Cette cure leur a été salutaire, et l'Estonie, qui est le seul des trois pays appartenant à la zone euro, a retrouvé une croissance positive de 3 % en 2010 et de 8 % en 2011 ! La Suède a réduit le poids de la dette publique en baissant les dépenses publiques de plus de 72 % du PIB en 1993 à 53 % en 2010 sans que cela se traduise par un recul de la croissance. Au contraire, celle-ci a été plus forte pendant la phase de réduction des dépenses publiques qu'auparavant.
C'est bien de cela qu'il s'agit pour la Grèce où la dette publique va dépasser en 2011 150 % du PIB. La sortie de la Grèce de la zone euro serait un choc salutaire pour la France. Sinon, un jour ou l'autre, on va découvrir qu'on n'est plus AAA, l'Allemagne nous demandant de rentrer dans le rang sous peine de revenir au mark, car l'euro n'est qu'un "sous-mark". D'ailleurs, si une majorité de la classe politique de droite comme de gauche est aujourd'hui plutôt solidaire du "mauvais élève" grec, c'est qu'elle sait que notre pays est dans la même situation...
Ceux qui prônent les "eurobonds" comme solution miracle, pour remplacer la vertu, oublient de dire aux Français qu'ils devront alors payer plus pour le service de leur propre dette qui absorbe déjà 2,5 % du PIB annuel de l'Hexagone, soit 1 point de plus que sa croissance tendancielle. Si la France ne veut pas finir comme la Grèce, elle doit prendre modèle sur le voisin allemand. Ce dernier caracole avec 3 % de croissance, un chômage de deux millions inférieur à ce qu'il était il y a trois ans et un taux d'emploi supérieur de six points au nôtre. En Allemagne, c'est l'ANPE qui licencie faute de chômeurs ! APL

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