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vendredi 14 octobre 2011

Créer le sentiment d' insécurité ...pour controler les citoyens.

Disputes au sujet des anges
Le plus énervant, c’est de se faire accuser d’angélisme dès qu’on ouvre la bouche pour parler de migration ou de sécurité. Dans le climat de Droitisation actuel, plus aucune parole positive sur notre société plurielle ne peut être prononcée sans qu’on nous traite de doux rêveurs, optimistes décalés ou radoteurs attardés. Nous sommes nombreux à fricoter avec les anges: le terme «angélisme» est revenu des dizaines de fois ces derniers temps dans les médias. A propos de Genève, trop laxiste face aux durs à cuire de la France voisine; à propos de la prison de Gorgier, dans le canton de Neuchâtel, qui ferait preuve d’une «stupidité congénitale» (1) à cause de ses visions humanitaires et de sa foi en la réhabilitation possible des délinquants; à propos des défenseurs du droit d’asile; à propos, bien entendu, de toute la gauche qui persiste à ne pas vouloir brasser avec les populistes de droite des tonnes d’air vicié autour de l’insécurité de nos villes. Prendre le parti des faibles, des recalés, des désespérés, est-ce donc une tare si avilissante qu’on doive s’en défendre ou s’en protéger?
La criminalité, la menace, la peur, je sais ce que c’est. Inutile de me faire un dessin. Comme d’autres, j’ai eu ma ration de cambriolages, escroqueries, violences. Je songe à ces années où, jeune étudiante, je rentrais à pied à travers la ville jusque dans ma lointaine banlieue, à trois heures de matin, légère et insouciante, assurément protégée par ce bataillon d’angelots qui nous ferait si cruellement défaut aujourd’hui. Vous pensez que le risque était moindre? C’est faux! La criminalité n’a fait que baisser, du moins pour les délits répertoriés depuis que les statistiques fédérales existent. En 1982, on comptait 446 brigandages avec armes à feu contre 356 aujourd’hui; 83 homicides contre 53 en 2010. (2) Dans ces années-là, on remettait aussi fortement en question les politiques d’enfermement. Un large mouvement de contestation militait contre l’isolement et les quartiers de haute sécurité. On s’était battu avec succès pour faire abroger la loi sur l’internement administratif; les requérants d’asile déboutés n’étaient pas jetés en taule; les articles de l’ancien code pénal qui permettaient d’interner les «délinquants d’habitude» et les «anormaux» étaient en passe de tomber en désuétude. Donc, il y a quarante ans, je risquais plus, mais j’avais moins peur.
Aujourd’hui, c’est fait, je suis contaminée, et je ressens, comme tout un chacun, des frissons d’angoisse quand je prends le régional en fin de soirée pour rentrer chez moi. Récemment, l’étude du professeur Killias sur la criminalité a été accueillie à grand tapage. Tous les médias se sont fendus de ce même commentaire: nous sommes devenus comme les autres pays! Bon sang! Quelle humiliation! «Par amour de la Suisse», on peut toujours dire que c’est la faute des étrangers! Aujourd’hui, le drame de notre société, c’est son allergie au risque et son obsession sécuritaire. «On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitude qu’il est capable de supporter», écrivait Kant. A cette aune-là, le peuple des moutons blancs, pétri de certitudes outrancièrement simplificatrices, en est plutôt mal pourvu.
Aujourd’hui, je dirais que la naïveté a changé de camp. L’angélisme, (le satanisme?) il est du côté de ceux qui croient qu’enfermer, emprisonner, exclure, déporter, emmurer, renvoyer, nous protégera du crime, ou de l’incivilité, ou simplement de ce qui nous est étranger. La ministre genevoise de Justice et police va prendre ses conseils à New York, dont l’ancien maire s’est rendu célèbre par sa «tolérance zéro». Or actuellement, New York dépense plus pour ses prisons que pour ses écoles, ce qui finira probablement par se retournera contre elle. A Paris, quelques réfugiés clandestins meurent dans l’incendie qui ravage leur logement de fortune. Peu après, j’entends le président Sarkozy annoncer: «J’ai décidé de faire construire 30000… – je dresse l’oreille, pensant qu’il parle de logements – … 30000 nouvelles places de prison». C’est bien connu, si on ne fait pas la guerre à la pauvreté, il faudra faire la guerre aux pauvres!
Ce qui nous sauve de l’angélisme, c’est au contraire notre sens de la réalité. Un réalisme qui prend en compte la complexité des enjeux et la profondeur des injustices. Sur ce registre, une lueur d’espoir nous vient de l’essayiste américain Jeremy Rifkin qui, dans son dernier livre (3), évoque ce «principe de réalité», «consistant à chercher l’affection, la compagnie, l’intimité, l’appartenance», et qui affirme qu’«une grande partie de nos interactions quotidiennes avec nos compagnons d’humanité sont empathiques, parce que c’est notre vraie nature». Angélique? Non! Scientifiquement prouvé.
Anne-Catherine Menétrey-Savary
Genève, Suisse
1- Propos de Dominique Warluzel, Le Matin, 2 juillet 2011.
2- cf. Le Courrier, «La criminalité a baissé en Suisse», 23 mars 2011.
3- Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie, Jeremy Rifkin, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par F. et P. Chemla, Ed. Les liens qui libèrent, 2011.

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