Information Participative

Médias Citoyens Diois continu !

Retrouvez-nous sur notre nouveau site :

http://mediascitoyens-diois.info

mercredi 26 octobre 2011

"Ce ne sont pas des pensées qu' il y a dans les cervaux , ce sont des évènements"...

Une histoire des affaires politiques
Les "affaires" surgissant de tous côtés, par les temps qui courent, et nous laissant tout ébaubis vient le goût de chercher dans le passé quelques précédents propres à servir nos réflexions devant les turpitudes de l'argent caché.
Georges Pompidou parla un jour d'"égouts" en flétrissant les révélations de Gabriel Aranda, collaborateur d'un ministre de l'équipement sous sa présidence, qui fit trembler la République en révélant, en 1972, les compromissions de députés, dupes ou complices d'hommes d'affaires véreux.
Les historiens, rétifs au cynisme comme à l'angélisme, ont cessé d'estimer que leur dignité devait les détourner de ces sentines, abandonnées aux folliculaires. Et leur premier message - encourageant ! - concerne les limites des secrets qu'on oppose à leur curiosité.
Certes, nous sommes payés pour savoir l'épaisseur de ceux auxquels se heurtent souvent nos enquêtes, même à longue distance temporelle, et nous ne sommes pas étonnés des déconvenues d'investigateurs plus proches des événements.
Nous nous rappelons le propos de cet Alfred Mascuraud, distributeur de fonds patronaux dans les années 1920, qui disait devant une commission parlementaire : "Voulez-vous me permettre de dire que je n'ai fait aucune écriture ? Je suis vieux, je peux disparaître demain. Vous ne trouverez pas trace d'une élection, il n'existe rien."
Cependant les historiens savent aussi que la curiosité ne doit pas s'en trouver découragée, car il existe divers ressorts propres à faire surgir la vérité, et ils ne s'étonnent donc pas de les voir au travail dans notre actualité aussi.
La part du désir de vengeance est grande, lorsqu'un protagoniste se juge mal traité - voyez ces jours-ci la soudaine franchise de tel intermédiaire de la Françafrique. On tend à croire que le magnétophone du maître d'hôtel placé sous la table d'une milliardaire notoire ressortit à cette catégorie.
Les commissions d'enquête parlementaires sur les "affaires" de l'entre-deux-guerres ont tiré profit semblablement de la frustration d'intermédiaires indélicats jugeant qu'on avait mal rétribué leur louche dévouement.
La vanité de jouer un rôle, parfois l'orgueil honorable de pourfendre le mal, constituent d'autres motivations favorables à une rupture de l'omerta. Certains aiment à jouer les chevaliers blancs. Gabriel Aranda éprouva de la fierté à recevoir ce salut de Jean-Paul Sartre : "Votre acte est légitime et en cela il est illégal pour cet Etat-là"... On songe au banquier Raymond Philippe révélant dans un livre, à la fin des années 1920, le rôle - légitime mais mystérieux - qu'avait joué la banque Lazard dans la défense du franc contre des assauts étrangers en 1924 : son milieu ne le lui pardonna pas, mais la chose fut sue, et il put s'en glorifier.
Faisons aussi la part des traces conservées par les acteurs dans la perspective d'une éventuelle justification. Les fameux "cahiers à spirale" du consciencieux Joseph Delcroix, dans l'affaire Urba, révélant un système de pourcentage sur des marchés publics au profit du Parti socialiste, au cours des années 1980, en fournissent un bon exemple. Plusieurs perquisitions, ces temps-ci, semblent n'avoir pas été infructueuses pour faire surgir de tels documents.
Ajoutons que les dossiers regorgent des fruits de l'imprudence - bien avant le piège des téléphones portables. On retrouve des transcriptions de conversations téléphoniques dans les archives de police dès avant la première guerre mondiale. L'expérience du passé montre qu'il n'est guère d'auteur de turpitudes qui ne relâche parfois la garde.
Quant à la chance de dénicher ces preuves, les historiens sont habitués à considérer combien changeante peut être, d'une époque à l'autre, la capacité d'investigation dont jouissent ceux qui en sont chargés.
Nul doute que les juges aient acquis, - deux pas en avant, un pas en arrière - plus d'autonomie qu'au temps où Aristide Briand, garde des sceaux, pouvait s'écrier, en avril 1914, dans les suites du scandale provoqué par les agissements de l'escroc Rochette entraînant des élus dans l'opprobre : "Ah ! la magistrature manque d'indépendance. Mais quoi ! La nomination de ces magistrats, leur avancement, leur carrière, tout est entre nos mains..."
La presse actuelle, matériellement affaiblie, ne l'est pas dans son énergie et elle est moins soumise qu'avant 1940 aux influences stipendiées. Quant aux parlementaires, ils peuvent chercher un antécédent stimulant du côté de la commission d'enquête que présida Jean Jaurès, en 1910-1912, à propos du scandale Rochette ou de celles de l'entre-deux-guerres sur les scandales dénommés Oustric ou Stavisky du nom des aigrefins concernés... Que le Sénat, désormais à gauche, ne l'oublie pas !
Le niveau des tentations constitue une autre variable dans l'histoire des grandes corruptions. Lorsque les décisions publiques sont de grande portée pour des intérêts privés, le risque de corruption s'accroît, en attendant que le Far West accueille son shérif.
L'exploitation des mines et la création des chemins de fer, avec les expropriations nécessaires, sous la Monarchie de Juillet et le Second  Empire (le scandale Teste-Cubières, en 1847, impliquant un ministre de Louis-Philippe contribua à la chute de celui-ci), les grands travaux internationaux à la fin du Second Empire (la canal de Panama !) le boum de la promotion immobilière sous la Ve République (au temps où Georges Pompidou annonça solennellement, dans sa campagne pour l'Elysée, qu'il ne ferait pas appel à de l'argent venu de ces bords) : des scandales retentissants correspondent à chacun de ces temps historiques.
Pas de surprise donc à voir aujourd'hui le commerce international des armements au centre des tumultes.
L'histoire enseigne enfin que le niveau de tolérance de l'opinion envers les comportements des puissants varie beaucoup d'une époque à l'autre. Voici quelques décennies encore, on ne s'inquiétait guère des délits d'initiés qui permettaient aux cadres des banques d'améliorer leurs fins de mois.
Ceux des politiques qui poursuivent une carrière d'avocat d'affaires, redevenus plus nombreux, sont voués, comme tels, à des débats de conscience ; on vient de rappeler utilement à tel ou tel le souvenir de divers dérapages sous la IIIe République (l'affaire Oustric est née de cela). Naguère encore, chacun sachant bien que les partis ne pouvaient pas vivre sans ressources, une hypocrisie collective détournait les yeux des subventions nationales distribuées par le patronat : seul l'argent des puissances étrangères semblait - déjà - insupportable. Les enveloppes de Liliane Bettencourt auraient été évidemment mieux tolérées qu'elles ne le sont aujourd'hui, depuis que des lois bienvenues, de 1990 à 1995, ont réglementé le financement des campagnes.
En validant les comptes fantastiques d'Edouard Balladur, en 1995, le Conseil constitutionnel semble bien avoir été plus passéiste que moderniste...
On ignore encore dans quelle mesure les saines recommandations du rapport demandé récemment à Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, sur les conflits d'intérêts des hauts fonctionnaires seront intégrées dans notre vie politique, mais au moins faut-il saluer l'initiative comme un hommage à une exigence grandissante de l'opinion.
Sur la durée, progrès ou éternel retour ? Le pire n'est pas certain. N'oublions jamais, en tout cas, que les scandales, qui indignent par la révélation de méfaits dissimulés, rassurent aussi par le fait même que ceux-ci ont pu apparaître au jour.
Un dernier mot : la prudence de l'historien le conduit d'ordinaire à s'arrêter au seuil des prévisions. Au moins peut-il observer que si les régimes antérieurs ont surmonté bien des "affaires" les moments où elles s'accumulèrent annoncèrent, pour les dirigeants en place, de tristes déconfitures.
Au moment même du scandale Teste-Cubières, quelques mois avant la chute de Louis-Philippe, Victor Hugo, alors pair de France, assistant à une fête chez le duc de Montpensier, fils du roi, en juillet 1847, pouvait écrire, à propos des cris hostiles de la foule voyant défiler dans leurs carrosses les privilégiés "brodés et chamarrés" : "C'était comme un nuage de haine autour de cet éblouissement d'un moment. (...) Ceci est plein de périls. Quand la foule regarde les riches avec ces yeux-là, ce ne sont pas des pensées qu'il y a dans les cerveaux, ce sont des événements."
Jean-Noël Jeanneney
Jean-Noël Jeanneney est historien, président du conseil scientifique des Rendez-vous de l'Histoire de Blois. Né en 1942, Jean-Noël Jeanneney a été président de la Bibliothèque nationale de France de 2002 à 2007. Producteur de l'émission "Concordance des temps" sur France Culture, il a notamment publié "François de Wendel en République : l'argent et le pouvoir (1914-1940)" (Perrin, 1974) et "L'Argent caché : milieux d'affaires et pouvoirs politiques dans la France du XXe siècle" (Fayard, 1981).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire