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mercredi 17 août 2011

Die 26150 : Le monde , c' est déja de l' amour...

Jean-Marie Pelt à Die
Le monde s’est-il créé tout seul ?
Scientifique et croyant, lecteur de la Bible mais sévère contre les intégristes et les créationnistes, Jean-Marie Pelt en appelle au retour de l’intuition créatrice dans les labos, et de l’humilité mystique dans les religions. Ultra rigoureux et cartésien quand il s’agit de diriger une thèse scientifique, le poète en lui n’hésite pas à dire : « Quand un atome en attire un autre, c’est déjà de l’amour ! »
REQ : En tant que croyant chrétien, vous adhérez à ce qu’enseigne la Bible...
Jean-Marie Pelt : Oui, mais là, je m’empresse tout de suite de dégoupiller la grenade que vous me lancez, quant à la manière dont on lit la Bible. C’est toute la bagarre entre le créationnisme et le darwinisme. Pour moi, la bible n’est pas un livre scientifique. Quand on lit un texte comme celui-là, on se trouve dans la situation de quelqu’un qui lit une fable de La Fontaine. Il sait bien que les animaux ne parlent pas entre eux. Il ne lui viendrait pas à l’idée de prendre cette histoire à la lettre. Par contre, à la fin de la fable, il y a une morale : « On a toujours besoin d’un plus petit que soi » ; « Tout flatteur vit aux dépends de celui qui l’écoute ; et après avoir entendu « La cigale et la fourmi », on comprend qu’en été, quand il y a des moissons, il vaut mieux travailler, que chanter et laisser dépérir la récolte. Dans ma lecture de la Bible, c’est ce sens qui m’intéresse. Je suis donc aux antipodes des créationnistes, qui sont des adultes demeurés en enfance.
REQ : Une Françoise Dolto aurait été d’accord avec vous, elle qui, dans son Évangile au risque de la psychanalyse, suggère que la Genèse - l’histoire de la création du monde en sept jours - doit être lue comme s’adressant à des enfants, ou à des adultes enfants.
J-M. P. : En tant que lecteur moderne de l’Écriture, je reçois le Livre de la Genèse comme ce qu’il est, c’est-à-dire comme un texte écrit par des hommes exilés en Mésopotamie, six siècles avant Jésus-Christ, et très malheureux de ne pas être à Jérusalem. Dans ce contexte-là, ils décident de rédiger un morceau de bravoure, en l’honneur de leur dieu, qu’ils montent tout de suite au sommet pour en faire le chef suprême ! Des morceaux de bravoure, on en connaît d’autres, la Marseillaise, par exemple : tout va mal, la Révolution de 1789 va ployer sous la pression des émigrés, alors on lance un morceau de bravoure plus agressif encore que les passages les plus agressifs de la Bible, qui en compte pourtant de sérieux ! Bref, dans ce morceau de bravoure que dix prêtres juifs rédigent en exil, ils nous expliquent que leur dieu est le créateur du monde. En cela, ils sont en phase avec les croyances moyennes du milieu et de l’époque où ils sont tombés. Ils veulent aller plus loin, ils font mieux. Et c’est assez réussi, puisque leur fable est encore l’un des plus grands best-sellers mondiaux, deux millénaires et demi après ! Mais encore une fois, dans leur fable, ce qui m’intéresse, c’est le sens profond.
Cela dit, attention, le créationnisme est une tentation venue d’Amérique, qui risque vraiment de nous tomber dessus un de ces jours. Nous assistons en effet partout, à une très inquiétante montée des intégrismes. Or, l’intégrisme, c’est ce qui fait les guerres, c’est ce qui empêche de dialoguer, c’est ce qui empêche d’être curieux de ce que pense l’autre, alors que l’autre détient toujours une part de vérité. Si ce n’était pas le cas, nous ne serions pas bio- et ethno-divers, et nous ne serions donc pas humains. Je suis bien sûr tout à fait opposé au courant intégriste. Je pense que l’écoute et l’ouverture sont les premières valeurs à mettre en œuvre si nous ne voulons pas nous retrouver dans des confrontations brutales, peut-être guerrières, ne serait-ce qu’avec les musulmans, travaillés par les islamistes - qui, soit dit en passant, devraient, eux aussi, redescendre vers plus d’ouverture. Je pense que, fondamentalement, l’ouverture appelle l’ouverture, et que la fermeture appelle la fermeture. J’adhère à ce que me dit l’homme de l’évangile, à ses récits, dont je reçois la substantifique moelle, dans l’ouverture à l’autre.
REQ : Et cette coexistence de deux discours ne vous gêne pas en tant que scientifique ?
J-M. P. : Mais pas du tout ! En tant que scientifique, mes collègues m’ont toujours dit que j’avais un défaut, c’est d’être pinailleur. Comme directeur de thèses, par exemple, je suis terriblement pointilleux, avec une image que le grand public ne connaît pas. Si tout n’est pas précisé, détaillé, référencé, je renvoie le malheureux thésard au charbon ! Je crois que je suis un vrai scientifique. J’insiste sur ce point parce que nous vivons à une époque de grande confusion, où des tas de gens s’imaginent qu’on ne peut pas être scientifique et croyant à la fois. Alors que ce sont des domaines totalement distincts. La science doit nous permettre de mieux comprendre comment la nature fonctionne, comment ça marche, quelles sont les interrelations entre l’ensemble des êtres vivants, indépendamment de toute croyance. Ma foi, elle, répond aux questions ultimes, aux causes premières et aux fins dernières, sur lesquelles la science n’a pas de discours à tenir - et elle n’en tient d’ailleurs pas. Je crois que si, de nos jours, neuf personnes sur dix sont paumées, c’est parce que cette réflexion n’a pas pénétré les opinions. Beaucoup de gens n’y comprennent plus rien. Ils ne savent plus s’il faut croire ce que disent les scientifiques ou ce que disent les curés. Les curés n’ont pas suffisamment fait la révolution copernicienne qui consiste à s’exprimer comme je le fais - je parle de la base, de ce qui est enseigné aux enfants, pas des élites de la théologie. Quant aux scientifiques, ils pensent qu’en dehors de l’objet de leur science, il n’existe rien, comme si le matérialisme était dans la nature des choses et que tout autre vision du monde était obscurantiste et dépassée. Personnellement, je navigue à l’aise entre ces deux pôles. J’appartiens aux deux.
REQ : Concernant les créationnistes et les darwiniens, ne trouvez-vous pas que le débat « Dieu contre Darwin », régulièrement relayé par les médias, sent le piège manichéen ? Ou vous êtes matérialiste athée, ou vous appartenez au camp des demeurés, pas d’autre choix !
J-M. P. : C’est ce que j’appelle un débat tronqué. D’abord il y a d’innombrables variétés de créationnistes. Des purs et durs, avec création en six jours et repos le septième. D’autres qui disent que ça a duré plus longtemps, chaque journée représentant un siècle, ou un millénaire... D’autres recherchent l’interface entre les règnes et les anges. Et ainsi de suite, jusqu’aux adeptes du fameux mouvement du « Dessin intelligent », dont on a beaucoup parlé. En face, les darwiniens nous posent un problème de pure linguistique. Car dans le darwinisme, on met à la fois l’idée d’évolution et les processus par lesquels Darwin explique celle-ci. Deux choses sous un même mot : 1°) le fait de l’évolution, auquel il est raisonnable d’adhérer et auquel j’adhère évidemment - même si des questions se posent (il y a toujours des questions qui se posent) ; 2°) les mécanismes de l’évolution, ce qui est tout à fait autre chose : comment ça marche ? Quand on dit « darwinisme », on vend à la fois l’évolution et le modèle d’explication. Or, sur les mécanismes de l’évolution, je ne suis pas du tout convaincu que ça se passe comme le pensent les darwiniens, par mutations aléatoires triées par sélection naturelle. Je crois que ça n’est qu’une partie de l’explication. Il ne me viendrait pas à l’idée de dire que la « sélection du plus apte » soit une idiotie. Mais à côté de ce mécanisme, il y a certainement d’autres mécanismes. Par exemple le mimétisme, qui pourrait correspondre à certaines des hypothèses du Britannique Rupert Sheldrake, que l’on devrait creuser. En tant que botaniste, je suis par exemple confronté à des phénomènes de mimétisme époustouflants quand une orchidée se déguise en insecte, prend le parfum de l’insecte, dispose ses poils comme ceux de la femelle de l’insecte, pour attirer l’insecte mâle, qui se trouve irrésistiblement attiré, se pose, s’agite, copule et embarque le pollen pour le déposer sur une autre orchidée qui se trouvé ainsi fécondée. Supposer que ce leurre soit apparu par le jeu du hasard ne colle évidemment pas.
REQ : Si ça se faisait vraiment par hasard, cette orchidée aurait eu besoin de milliards de fois plus de temps ?
J-M. P. : Il aurait surtout fallu que l’idée finale soit là à l’avance, pour que les variations aillent dans le bon sens. Il aurait fallu que l’orchidée, avec ses six pétales, ait un « projet » qui se projette dans un temps lointain, pour qu’elle sélectionne les mutations qui lui permettront d’aller là-bas. Mais alors, ce ne serait plus du hasard. Donc, le modèle darwinien sur les orchidées mimétiques ne marche pas. Je le retourne dans tous les sens, ça ne marche pas.
Ensuite, il y a ce qu’a dit le vieux Lamarck, que le jeune Darwin a détrôné. Lamarck pensait que si les girafes ont de longs cous, c’est que leurs ancêtres ont beaucoup tiré dessus, pour pouvoir manger des feuillages haut perchés. Darwin a inversé la logique : le long cou, aléatoirement survenu, a donné un avantage aux girafes qui, par hasard, se trouvaient vivre près de feuillages haut perchés. Est-ce que l’on doit brûler Lamarck ? Est-ce qu’il a tout faux ? Je n’en suis pas sûr.
REQ : Boris Cyrulnik dit que les idées de Lamarck ont plutôt tendance à remonter actuellement...
J-M. P. : Il a raison. Il y a chez Lamarck une part de vérité, si bien qu’on pourrait dire que le père du transformisme, c’est lui. Mais on peut remonter plus loin. J’étais hier au tricentenaire de Buffon : déjà à son époque, donc avant la Révolution française, cet homme avait des intuitions de transformisme. Buffon a écrit des choses presque identiques à Darwin sur les oiseaux, notamment qu’ils pouvaient avoir des ancêtres communs. Ou que les dinosaures étaient des espèces anciennes et disparues. Et bien sûr que la Bible n’expliquait rien.
REQ : Ce qui n’empêche pas que Darwin était génial.
J-M. P. : Certes, et il n’était pas du genre à observer le catéchisme d’une stricte observance ! Tout au long de sa vie, il n’a cessé de se poser des questions sur son modèle. Alors que les darwiniens purs et durs ne doutent de rien. Ils vous parlent de la sélection naturelle comme d’une certitude. Ça ressemble parfois à de l’intégrisme... Les vrais chercheurs scientifiques, voyez-vous, ne fonctionnent pas comme ça. Tout ce que nous venons de dire relève de la logique du cerveau gauche, qui nous pousse aux limites de nos déductions, ou de nos inductions. Je pense, comme le professeur Lucien Israël, que pour mener à bien une spéculation, il faut aussi laisser travailler l’hémisphère droit, qui est celui de l’intuition, des affects, de la sensibilité. L’intuition joue un rôle essentiel en science. Je suis frappé et inquiet de voir combien, aujourd’hui, poussés par la nécessité d’avoir des résultats rapides, de publier vite, beaucoup de scientifiques finissent par avoir une approche mécanique de la biologie moléculaire. Ils font tous à peu près la même chose que leurs collègues, ils sont juste sur une autre enzyme, un autre morceau d’ADN, mais les techniques, les modes de raisonnement et finalement les visions sont les mêmes. Et c’est la raison pour laquelle, à mon avis, la biologie moléculaire n’avance pas vite. Elle n’a pas fait sa révolution copernicienne !
REQ : Que voulez-vous dire ?
J-M. P. : En particulier, qu’elle n’a pas pris en compte l’aspect vibratoire des molécules, ce qui est incroyable. Elle est en contradiction complète avec la physique quantique, et prodigieusement en retard. Un retard qu’elle ne comble pas, parce qu’elle a une vision mécaniste. Je le vois bien chez de jeunes chercheurs. Parfois, je me dis qu’il faudrait leur rappeler que, dans son petit appartement de Trinity College, le grand Newton avait des transes ! Les fameuses lois de la science moderne, il ne les a pas élaborées par des raisonnements déductifs, mais par des intuitions extrêmement fortes, qu’il avait quand il se trouvait dans un état second. Les états seconds peuvent être extrêmement productifs pour la créativité humaine. Einstein aussi a raconté que, quand il a eu l’idée de la relativité, ce fut par une sorte de révélation, où il a vu des images colorées s’imposer à lui comme si elles lui étaient données. Pourquoi ? Parce que son intuition était réceptive. La créativité en sciences, ce n’est pas seulement de faire comme tout le monde, pour avoir des crédits et un public. Il s’agit de faire fonctionner, ou plutôt de laisser fonctionner les deux parts de son cerveau.
Reprenons Darwin un instant. À la fin de sa vie, il avait deux soucis. Le premier, c’est d’avoir fait tant de peine à sa femme, en affirmant que Dieu n’existait pas - ça lui faisait de la peine à lui aussi, mais il n’y pouvait rien, c’était comme ça ! Et son deuxième souci, c’est qu’il était devenu sec comme un désert, ne comprenant plus rien à l’art, à la poésie, à la musique, à rien de ce qui est véhiculé par l’hémisphère droit. Il s’était complètement gauchisé dans son cerveau. Et moi, je regrette terriblement que la science actuelle soit devenue comme ça. Nous avons désormais une science mécaniste, qui ne repose plus que sur l’hémisphère gauche. Et l’hémisphère gauche, il sait surtout reproduire des systèmes simples, compter, numériser, classer... Or, quand ce type de fonctionnement s’empare, par exemple, de l’ADN, ça donne la logique des OGM. Je repère un gène, je l’isole, je vérifie ce qu’il contient comme informations, je le place ailleurs, pour obtenir un certain résultat. Manque de bol, ça ne marche plus. Il a perdu, dans un autre génome, les propriétés qu’il avait dans le génome d’origine. Parce que le nouveau génome a des caractères qui l’annihilent. Ou parce qu’il faudrait mettre trois gènes, et non un seul. Bref parce que la vie est tout à fait compliquée et que ça ne marche absolument pas comme ça.
L’approche purement mécaniste produit la technologie que nous voyons. Je suis en vive réaction contre ce qu’on appelle aujourd’hui la techno-science, dont je ne suis pas sûr qu’elle va libérer l’homme. Je pense au contraire, qu’elle va l’asservir et que nous allons devenir des robots ! J’ai l’air de rire, mais c’est tragiquement ce que je pense.
REQ : Votre pessimisme ne vient-il pas du fait que vous êtes aussi un écologiste ?
J-M. P. : Certainement. L’écologie est portée par une démarche beaucoup plus intuitive que déductive et mécaniste. Je pense que nous avons désormais une biologie de pauvres, linéaire, non régulée, n’intégrant même pas l’idée de feed-back et tout ce que nous a apporté la cybernétique. Or, la vie n’est pas linéaire. Elle est dialectique, ying-yang, avec des boucles de retroaction et de régulation, enfin tout, sauf linéaire. Et puis, il y a un grand mystère écologique en biologie, c’est la biodiversité, dont tout le monde sait aujourd’hui qu’elle nous est vitale et que le réchauffement climatique la détruit. Or, paradoxe confondant, on n’enseigne plus les plantes et les animaux dans les universités. Plus on parle de biodiversité, moins il y a de gens capables de reconnaître les plantes et les animaux qu’il faut protéger. Il y a là une incroyable contradiction.
Tous les jours, des jeunes me demandent pourtant par email où ils pourraient apprendre la botanique ou l’entomologie. Ces gosses pourraient aller travailler partout où des espèces sont menacées (par exemple par notre nouvelle ligne de TVG Paris-Strasbourg) et chercher comment faire pour les protéger, en aménageant des niches écologiques conformes à leur mode de vie. Mais non. Rien. Personne. Tout le monde travaille exclusivement sur le gène. Et moi, le « tout gène » me gêne ! Parce que la biologie, ce n’est pas ça. C’est plein d’autres choses, que l’on va découvrir.
REQ : Quand vous dites que la biologie moléculaire n’a pas fait sa « révolution copernicienne », qui serait d’intégrer la physique quantique, qui est « en amont » d’elle (dans la classification des sciences selon Auguste Comte), faites-vous allusion, aussi, à la manière que nous avons de cultiver la terre, suivant la méthode du baron von Liebig, père de l’industrie des engrais, qui croyait qu’il fallait mécaniquement restituer à la terre, au gramme près, les éléments chimiques que les plantes y avaient pompés ?
J-M. P. : Bien sûr. Cette biologie a généré d’énormes industries. Le phénomène Liebig est tout à fait d’actualité avec nos questionnements sur l’agriculture. Mais il faut se souvenir qu’à la fin de sa vie, von Liebig était un peu comme Darwin, mais en beaucoup plus radical. Il a carrément dit : « Je me suis trompé. La nature a les moyens d’assurer les productions nutritives dont les plantes ont besoin, sans qu’il soit nécessaire d’y rajouter des tonnes d’éléments extérieurs. » On l’ignore totalement : le baron Justus von Liebig s’est rétracté ! Or toute l’énorme industrie agrochimique mondiale est basée sur ses travaux !
REQ : Passons à une autre loi du vivant : iriez-vous jusqu’à dire que « l’amour » est ce qui fait avancer le monde ?
J-M. P. : On sort ici du discours scientifique, pour entrer dans celui des convictions. Cela dit, même si l’on reste dans le domaine strictement scientifique, prenez le monde atomique ou sub-atomique. Il y a l’attraction l’une vers l’autre de trois particules élémentaires, les quarks, qui s’attirent et s’associent pour donner des protons, des neutrons, des électrons. Ensuite, ceux-ci s’attirent et s’associent pour donner les atomes. Ensuite les atomes s’attirent et s’associent pour donner des molécules. Ensuite, les molécules se combinent entre elles jusqu’à donner les molécules géantes de la reproduction. On a ensuite les éléments qui s’associent et s’auto-organisent, pour donner des cellules. Lesquelles cellules s’auto-organisent pour donner les tissus, lesquels s’auto-organisent pour donner des organes. Les organes donnent l’organisme, et les organismes s’attirent et s’associent, pour donner une société. Autrement dit, il y a tout le temps un mouvement d’attirance l’un vers l’autre. C’est incontestable. Si l’on ramène la longue histoire de l’évolution au plus simple, c’est ce qui s’est passé. Il y a une loi de coalescence d’identités, qui vont vers du plus complexe. Là, on retrouve l’idée de Teilhard de Chardin de la montée en complexité-conscience, qui passe par le seuil de la vie et par le seuil de l’esprit. Plus ça devient complexe, plus apparaissent des propriétés émergentes. Ça n’est pas seulement un enseignement de la science globale. C’est un enseignement que, moi, j’ai vérifié dans mon activité professionnelle, en associant des molécules, et en faisant apparaître à un certain niveau de complexité, des propriétés thérapeutiques émergentes. Vous prenez des molécules qui n’ont aucun effet, vous les mettez ensemble, vous les injectez à des animaux, elles produisent un effet thérapeutique. Seules, aux mêmes doses, elles n’en produisaient pas. C’est ainsi que l’évolution s’est déroulée. C’est une chose que j’ai maintes fois vérifiée, de manière pratique. C’est une loi essentielle de la vie et de la constitution des formes nouvelles. La sélection naturelle de Darwin intervient ensuite, éliminant les associations non-viables. Mais avant que la sélection ne frappe, il a bien fallu qu’un mécanisme engendre des formes nouvelles ! La mécanique de la construction est antérieure à la mécanique de l’élimination. Il faut un spermatozoïde et un ovule pour donner un bonhomme, un animal ou une plante. Au niveau humain, on appelle ça l’amour. Je crois à ça, vraiment.  En réalité, la révolution dont nous parlons concerne l’ensemble du regard que nous portons sur le monde. Dans la mesure où l’homme est fini, il ne peut pas atteindre l’infini. C’est impossible. Jeune, je pensais que même Dieu, un jour, serait démontré par la science ! Qu’il arriverait un jour où, je ne sais trop comment, on finirait par tomber dessus, pan ! sous le microscope ! Je ne me dis plus ça, aujourd’hui. J’ai évolué. L’infini, le divin, si l’on est croyant, s’atteint mieux par la mystique que par la science. C’est d’ailleurs la définition même de la mystique dans les dictionnaires : l’union à Dieu. Par la démarche mystique, on peut avoir des intuitions très fortes. Je prends le mot « intuition », parce que si je prenais un mot plus précis et plus fort, ça pourrait prétendre que j’ai atteint le divin (rire). On ne l’atteint pas non plus par la mystique, mais on l’approche de plus près... Bien sûr, je sais que cette approche sent le soufre, dans la société actuelle. Mais mon expérience personnelle me permet de dire ces choses-là, parce que j’en ai traversé quelques-unes. La science peut permettre d’approcher le divin par la contemplation et l’émerveillement de la façon dont le monde est goupillé. C’est vrai que l’ADN est une belle machine, qui fonctionne d’une manière surprenante ! Mais selon moi, ce n’est pas par cette voie qu’on peut aller vers l’infini. La voie mystique me semble plus sûre, si l’on veut toucher à la non-finitude. Disons : si on veut la lécher, comme les vagues lèchent le continent. Il ne faut pas s’imaginer qu’on peut se mettre l’infini dans la poche. On peut juste l’effleurer.
REQ : Personnellement, je n'ai pas du mal à comprendre que l’on soit scientifique et athée. Agnostique, aussi. C’est même, d’une certaine façon, indispensable. Mais le spectacle de l’univers est tellement fantastique qu’affirmer savoir qu’il n’a aucun sens me paraît infantile..
J-M. P. : C’est parce que nous ne sommes plus dans un monde de savants, mais dans un monde de techniciens. On a beau évoquer les innombrables associations qui enseignent la nature aux enfants et qui protègent la nature, ce n’est plus le cœur de notre société. Le cœur de notre société, c’est la technique, les engins. Les jeunes vivent de ça. Ils sont totalement instrumentalisés par un pouvoir économique qui en tire le plus grand profit et les rend hermétiques à ce qui n’est pas techno. Enlevez-leur les portables, les MP3, les play-stations, les casques sur les oreilles... vous allez voir une dépression effroyable s’abattre sur la jeunesse. Le lien à la nature est beaucoup, beaucoup plus lointain. On ne pourrait plus se passer de la technique. On ne se pose pas la question de savoir si on pourrait se passer de la nature : elle n’est plus là. Evidemment, si elle disparaissait réellement, nous serions morts. Mais nos enfants ne le ressentent pas. Il se trouve que moi, j’ai été élevé dans une ferme de l’Auvergne profonde, pendant la guerre, totalement immergé dans la nature. Cela m’a donné un sentiment d’équilibre profond. Ce furent, de loin, les années les plus heureuses de mon existence. Quand je gardais les vaches, quand j’allais glaner pour les poules... L’idée qu’il m’en reste tient en deux mots : « équilibre joyeux ». Je ne suis pas étonné que certaines personnes se sortent de la dépression en jardinant. Le lien à la nature est un lien qui construit la psyché humaine. C’est un lien très fort, sans doute parce que notre corps, c’est aussi la nature. Mais nous en avons complètement perdu le sentiment. Beaucoup de mal-être tient à cette perte. C’est quelque chose qu’il faut redécouvrir d’urgence, si nous ne voulons pas aller dans le mur. C’est dans ce lien-là qu’on découvre le lien supérieur, avec la totalité, en agnostique ou en croyant, peu importe.
Le Pr Jean-Marie Pelt est intervenu aux Rencontres de l’ Ecologie au Quotidien ( REQ) de Die.
Ecologie au Quotidien
DIE, Rhône-Alpes, France
Le Chastel 26150 DIE
Tel : 04 75 21 00 56       

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