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mardi 21 juin 2011

Auprés de mon arbre je vivais heureux...

« Auprès de mon arbre je vivais heureux » chantait Brassens à l’unisson du ressenti de beaucoup d’entre nous, quoique rarement exprimé dans la vie courante souvent citadine et artificielle.
Aussi ai-je plaisir à évoquer ici un sujet qui fait une pause dans l’actualité fournie de cette année pour nous délasser un peu des évènements dont les médias nous entretiennent chaque jour. Comme notre poète guitariste j’aime les arbres et désire vous faire partager cette pacifique affection pour le bonheur que leur sérénité inspire habituellement.
Mais j’ai bien conscience de l’étrangeté de ce propos dans un monde de vitesse et de changement perpétuel quand les arbres font au contraire l’éloge de la lenteur. Ils croissent en effet tranquillement pendant de longues durées en suivant paisiblement le rythme des saisons tout en laissant apparaître des transformations progressives auxquelles nous avons tout le loisir de nous habituer : après l’hiver viendront les pousses du printemps. Et puis c’est idiot à dire, mais les arbres restent à leur place (et n’usurpent pas celle d’autrui comme certains dont je préfère taire le nom) : on peut toujours les retrouver là où ils sont, et ont toujours été, ce qui est une preuve de rassurante permanence assortie de modestie.
- Cependant, et c’est ce qui est paradoxal, leur immobilité nous suit tout au long de notre vie : je pense à ces balançoires que l’on suspendait aux branches et qui bourdonnaient de rires ou à ces sapins de Noël qui ont illuminé nos souvenirs d’enfance mais aussi à tous ces arbres familiers auxquels tout gamin je grimpais jusqu’à la cime pour me sentir plus grand que j’étais en réalité, et qui sont à présent toujours aussi humbles mais encore plus majestueux qu’avant, et qui me survivront, ce qui est finalement une leçon de vie. Je ressens avec eux une sorte de compagnonnage aimable qui ne me tient pas rigueur de leurs branches coupées pour faire des arcs et des flèches, moi qui ai toujours pensé que les indiens étaient plus malins que ces cowboys prétentieux et bruyants dont je lisais pourtant les histoires dans les bandes dessinées.
 - Quand je repense à ces moments de jeu durant les grandes vacances que je passais dans les bois à chasser d’invisibles ennemis avec mes camarades, et à monter aux palombières, je ressens encore aujourd’hui l’ivresse magique que j’éprouvais alors en me demandant combien d’enfants peuvent encore savourer un tel bonheur loin des parents que nous retrouvions seulement pour les repas, et qui ne s’inquiétaient nullement de nos errances sauvages, ce dont je leur suis toujours reconnaissant en raison de l’amour d’une liberté responsable que cela m’enseigna pour toujours, et de la confiance que cela préservait entre nous.
- Et puis il y a la beauté des arbres : leurs élancements vers le ciel sont une prière secrète et les couleurs sublimes dont ils se parent une fête pour l’œil d’où se dégage un charme apaisant fondé sur une infinité de nuances qui nous parle du temps qui passe et du temps qu’il fait, et donc de la palette diverse des émotions et sentiments, mais avec la légèreté des feuilles et l’impalpable murmure du vent. Les moments de vacances que j’ai passés dans mon hamac sous la fraîcheur de la ramure en été m’ont toujours comblé d’une joie profonde, surtout quand mes rêveries étaient accompagnées par le chant des oiseaux. Je devenais alors musicien, moi qui n’ai jamais distingué le do d’un ré, ou même navigateur de songes.
- Parfois en effet je m’embarquais en douce à bord de solides galions hauturiers tout de bois vêtus, souvent pirates, qui venaient farouchement prendre d’assaut les vaisseaux de quelque prince célèbre pour s’emparer de ses richesses et lui ravir sa dulcinée. Il arrivait aussi qu’en haut du mat taillé dans le tronc d’un hêtre de haute futaie la vigie découvrit des terres inconnues où j’abordais en lisière de forêts mystérieuses et profondes peuplées d’indigènes nonchalants ou cruels pendant que dans le ventre du navire la puissante charpente de chêne continuait de gémir sous les mouvements des vagues comme pour l’annonce d’un improbable enfantement.
- Je me suis alors souvent demandé comment l’humanité, qui a créé chez nous cette absurde séparation entre nature et culture, aurait pu accoucher d’elle-même sans le secours des arbres. Imaginons un moment l’absence du feu pour l’homme préhistorique condamné au froid par des temps polaires, incapable de confectionner des lances pour chasser, et donc probablement de survivre, ou obligé de manger cru, ce qui aurait modifié notre civilisation. Imaginons les huttes et les maisons, ou les palissades et fortifications qui ne nous auraient pas protégés, les manches de houes ou les socs des charrues sans lesquelles toute culture de la terre eût été difficile, les meubles qui n’auraient pas été construits dans la senteur des copeaux et le rythme de la varlope, les boutres ou caravelles calfatés à la résine odorante qui n’auraient pas transporté les marchandises et les populations d’un bout à l’autre des mers, les fruits que nous n’aurions jamais goutés, les parfums et médecines qui nous seraient toujours inconnus, les livres qui n’auraient jamais été imprimés…
- En réalité, sans arbres, la face du monde aurait été changée car la guerre de Troie et son fameux cheval en bois n’auraient pu exister, ce qui aurait sauvé la pauvre Iphigénie. Ulysse lui-même aurait pu rester tranquillement près de sa femme et de son fils sans succomber aux charmes de Circé. Toute la mythologie serait donc à revoir car il n’y aurait plus de pommes au Jardin des Hespérides, les nymphes ne se cacheraient plus dans les bois pour échapper aux assiduités de Zeus, Artémis n’aurait plus d’arc pour chasser, Pan ne charmerait personne au son de sa flûte, les lauriers d’Apollon ne couronnerait plus les vainqueurs des jeux, Héraclès perdrait sa massue d’olivier et Athéna son symbole de paix et de chasteté. Et moi je n’aurais plus cette huile succulente pour faire le régime crétois que ma santé et ma gourmandise réclament, ce qui est proprement impensable !
- Comme nous serions démunis sans ces forêts mystérieuses qui abritent nos mythes tout emplis d’elfes ou de lutins, mais aussi de nos peurs : loups, ogres, démons, hors-la-loi dangereux ou marginaux à la Robin des bois ! Que seraient sans arbres les rituels sacrés des druides et de nombreuses religions antiques ? Pourquoi disparaîtraient de notre mémoire celui de la sagesse ou des palabres en Afrique, le chêne sous lequel Saint Louis rendait dit-on la justice, et les peupliers de la liberté que l’on plantait pendant la Révolution ? Sans eux notre existence serait désorientée car nous n’aurions plus d’histoires à nous raconter ni d’Histoire tout court. Et la philosophie elle-même serait en manque de son arbre de Porphyre…
- En leur absence il n’y aurait point de racines ou de fondations qui tiennent dans les profondeurs du sol ou des êtres les choses et les désirs qui sont la vérité de ce que nous préférons oublier pour nous la cacher à nous-mêmes, ni de parents connus ou inconnus à accrocher aux arbres généalogiques des familles pour mieux nous repérer, ni de parcours buissonnant qui fait de cet illustre végétal un très lointain ancêtre. Sans arbres les amoureux n’auraient plus de support pour graver leurs noms et leurs promesses et nous serions orphelins de ce symbole de vie et de développement. Même les pendus seraient en déshérence et Villon pourrait aller se rhabiller. La Bible serait muette sur l’arbre de la connaissance du bien et du mal qui préside en réalité aux choses du sexe, ce péché originel sans lequel le monde serait bien falot.
- Pire encore, l’univers s’effondrerait sur lui-même sans ces pylônes de hautes ramures qui tel Atlas sur ses épaules soutiennent au-dessus de nos têtes le ciel tout entier avec le soleil et les étoiles. Notre spiritualité qui interroge ce qui nous dépasse disparaîtrait alors en entrainant dans sa chute la vie elle-même, faute d’oxygène et de biodiversité. Difficile alors de nous raccrocher à quelque vieille branche comme l’on dit familièrement, d’autant que l’arbre de nos illusions et de nos croyances serait impuissant à nous cacher la forêt des réalités du monde et précipiterait notre perte.
- Fort heureusement nous ne sommes pas encore rendus à cette extrémité et pouvons encore sourire dans l’attente d’une grande question existentielle : « hêtre ou ne pas être » à laquelle Raymond Queneau a peut-être déjà répondu en affirmant : « Il n’y a que deux sortes d'arbres : les hêtres et les non hêtres ». Mais pour moi cela ne me préoccupe guère, car c’est au fruit que l’on reconnait l’arbre.
APL

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