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mardi 26 avril 2011

Pardon à l' eau et l' océan

"Pardon à l'eau et à la mer"
Que ne s'est-il passé depuis ce début 2011 qui ne nous glace le coeur, nous enthousiasme ou nous désespère ! Il y eut les révoltes tunisienne et égyptienne, qui mirent hors d'état de nuire des dictateurs que notre Etat, et bien d'autres, fréquentaient sans discernement. Puis suivirent les révoltes libyenne, syrienne et yéménite, qui, pour l'heure, semblent sans issue. Survint alors le triple big bang japonais, un tsunami ravageur, un tremblement de terre et une menace nucléaire invisible et pourtant bien réelle qui se dissémine dans l'air, la terre et l'océan. "Shikata ga nai", disent les japonais ("On n'y peut rien !"). Que répondre à cela ? On ne s'indigne pas devant un ordre de la nature, on s'y soumet, les larmes coulent à l'intérieur des corps afin de n'apparaître jamais au vu et au su de ceux qui vous observent et attendent de vous tressaillement et effondrement. Pourtant, "huit cent huit dieux" avaient depuis toujours la garde du troupeau des rêves, mais que peuvent faire les dieux face à un déchaînement tellurique à la force décuplée ?
Cette attitude japonaise a surpris le monde entier, a suscité empathie et admiration pour qui ne connaissait rien de ce peuple soudé, à l'orgueil insulaire sans pareil, un peuple qui a vécu Hiroshima, le tremblement de terre de Kobé, mais surtout celui qui est dans chaque mémoire de l'Archipel, parce qu'on l'apprend à l'école dès le plus jeune âge : le séisme qui détruisit Tokyo en 1923 et fit 125 000 victimes. Mais c'est bien sûr Hiroshima qui reste le malheur emblématique dans la mémoire collective nippone : pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, une population civile était soumise à l'amplitude ravageuse et sournoise d'une attaque nucléaire. Aujourd'hui, à chaque minute, dans le Parc de la paix d'Hiroshima, retentit un gong afin que jamais on n'oublie ce matin où l'Enola-Gay américain fit jaillir "mille soleils" sur ce port intérieur du Pacifique.
Cet événement du 6 août 1945 mit fin à la seconde guerre mondiale et annonça la capitulation japonaise. L'empereur Hirohito, pour la première fois dans l'histoire du Japon, dut faire entendre sa voix. Lui qui descendait de la déesse du soleil, Amaterasu, se tenait devant un micro comme un vulgaire disc-jockey afin de faire l'annonce à son peuple, sur la radio nationale, d'une capitulation, celle de son pays. Soixante-six ans plus tard, son fils, l'empereur Akihito, allait s'exfiltrer de son imposant palais sis à côté du quartier huppé de Ginza, au coeur de Tokyo, afin de se prosterner, accompagné de l'impératrice, devant les survivants de Fukushima. L'empereur, divinité du Japon, s'agenouillait, tête penchée au ras de terre, devant les martyrs ! Un événement dont la presse occidentale se fit écho, sans toutefois décoder ce que ce geste, d'un homme pour des hommes, signifiait pour le peuple japonais.
J'ai effectué plus de trente-cinq voyages vers ce pays de l'invisible, dans cet empire de "l'inespoir" où règne une sorte de fatalité tranquille face à l'adversité, face aux typhons, face aux forces souterraines qui endommagent cette île de l'absolu et blessent les âmes et les corps d'un peuple pour qui l'harmonie est plus qu'un art de vivre, mais une réponse de dignité face à chaque adversité.
Dans ce pays des catastrophes naturelles, historiques ou technologiques, on observe de loin les desseins de la mort venant témoigner de son empire sur les hommes et prendre ainsi le pas sur la vie quotidienne comme si c'était là l'agenda normal que chaque Japonais transporterait dans son attaché-case. Dans ce pays de "l'impermanence des choses", tout est provisoire, éphémère et fragile, la vie n'est qu'un passage sans espoir de résurrection : reste, comme unique luxe, le présent.
Le shintoïsme, religion dominante qui se mêle habilement au bouddhisme, ne promet ni paradis, ni rédemption, ni eschatologie pour une éternité enchanteresse, mais propose une disposition pour les sublimes beautés du quotidien. Ici, on s'émerveille à chaque printemps devant les cerisiers en fleur, l'arbre que l'on nomme sakura, qui est aussi le nom du printemps et du renouveau de la vie. Ici, on fait des kilomètres à l'automne pour apercevoir un reflet de lune sur un lac planté au milieu d'érables roux. Ici, il y a une fête chaque année pour les personnes âgées, pour les petites filles et les aiguilles brisées. A Ise, lieu du Shintô le plus vénéré du pays, on reconstruit en bois de cyprès, chaque vingt ans depuis l'an 820, les deux sanctuaires afin de symboliser l'impermanence de chaque chose, fût-elle un temple millénaire...
A Natori, non loin du périmètre de sécurité entourant Fukushima, existe désormais une sorte de musée, plutôt un reposoir, celui des objets retrouvés sous les décombres des maisons explosées : albums de photos, de mariage, cahiers d'écoliers, des pendules, des télévisions, des ours en peluche, des fauteuils en skaï, des ordinateurs... Chacun vient là, inquiet et avide, à la recherche d'un objet, d'un segment de sa vie, un livre, une commode, un futon, une aquarelle du mont Fuji, un bonzaï, une fiole en terre cuite de saké, un tokonoma...
Face à l'océan, une jeune femme en kimono prie, mains jointes : "Pardon à l'eau et à la mer, nous vous avons fait tant de mal !" "On a beau avoir vécu un tremblement de terre phénoménal, avoir surmonté le tsunami, mais le danger radioactif, c'est autre chose : terrifiant." Ce jour du 11 mars 2011, pas de cris, juste un souffle retenu, une parenthèse désenchantée de plus. Mais le Japon va surmonter cette tragédie comme tant d'autres. Ici, il y a deux idéogrammes pour signifier le mot crise : l'un dit chaos, l'autre, opportunité.
Yves Simon
Romancier, auteur et compositeur, il a reçu le Prix Médicis pour "La Dérive des sentiments" et le Grand Prix Chanson de l'Académie française pour l'ensemble de son oeuvre discographique. Dernier roman paru : "La Compagnie des femmes", aux éditions Stock.

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