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jeudi 28 avril 2011

Le désert ardèchois n' est plus ce qu' il était....

En Ardèche, les résidences secondaires ont remplacé les lopins de terre
« Ils quittent un à un le pays pour s’en aller gagner leur vie loin de la terre où ils sont nés », chantait Jean Ferrat, Ardéchois d’adoption mort en mars dernier. Les paysans ne sont pas tous partis. Certains ont cherché par tous les moyens à s’accrocher à la terre dans une campagne dorénavant plus riche en résidences secondaires et en sangliers qu’en agriculteurs. Ils racontent ce combat.
Lorsque Paul (1) est né, en 1939, son grand-père maternel, fou de joie, a fait le tour de son village perché dans les Cévennes ardéchoises pour l’annoncer : il aurait un successeur à la ferme. « Le fils premier-né appartient à la terre. Elle en hérite », écrivait Karl Marx (2). Premier garçon d’une famille de trois enfants, Paul était culturellement destiné à reprendre l’exploitation familiale, qui fonctionnait sur le modèle de la polyculture-élevage. « J’ai connu la traction humaine », se souvient cet agriculteur aujourd’hui retraité : avec les saccols, sacs bourrés de paille que l’on accrochait sur la tête, les paysans ardéchois transportaient pierres et fumier sur leurs terrasses pentues. La traction animale, le cheval, soulageait l’homme des tâches les plus difficiles.
Après-guerre, la ferme de Paul, quasiment en dehors de l’économie monétaire, autarcique comme la plupart des exploitations alentour, fait vivre trois générations. Travail de la vigne, culture de l’olivier, du châtaignier, élevage de vers à soie (sériciculture), chèvres, vaches, poules, lapins, cochons : « On n’arrêtait jamais de travailler. Il y avait quatre-vingts familles au village, et tout le monde vivait de cette façon. Ça n’avait pas changé depuis des siècles. On était plus proche du Moyen Age que de la civilisation ! » En 1961, de retour de la guerre d’Algérie avec un peu d’argent en poche, Paul paie le permis de chasse à son père : « Il n’en avait pas les moyens… »
Les premiers bouleversements de cette agriculture séculaire sont alors à l’œuvre : le productivisme est né (3). Les parents de Paul abandonnent rapidement la sériciculture, qui cesse d’être rentable « avec l’apparition des soies artificielles ». Sur l’exploitation, les mûriers sont arrachés, remplacés par des cerisiers et des pêchers : « C’était le début de l’arboriculture, avec la mise en place des coopératives agricoles. Cela nous a apporté pour la première fois un bien-être économique. » Néanmoins, pour avoir un revenu stable, Paul est contraint de devenir pluriactif. En 1968, il commence à travailler dans une société d’assurances locale. Et occupe une place de secrétaire de mairie, à temps partiel, dès 1970.
« On avait des existences
de forçats »
« A cette date-là j’ai pu, enfin, acheter mon premier tracteur. » Pour faciliter le passage de la machine, toutes les parcelles non mécanisables sont terrassées, ou définitivement abandonnées. « La mécanisation a été un piège. J’étais convaincu que cela me permettrait d’aller plus vite, de dégager du temps. En réalité, j’étais entré dans le cycle infernal de l’industrialisation. Il fallait toujours produire davantage, aller plus vite, acheter des terres… Tout au long de ma vie de paysan je me disais : “Evolue !”, je croyais avancer, et j’étais doublé par l’évolution. Il fallait avoir le diable au corps pour rester ici. » Une disposition que peu de ses semblables ardéchois partagent : « Tous mes copains partaient en ville, devenaient gendarmes, mécaniciens, maçons, cheminots… Quand j’ai compris que le pays foutait le camp, ça a été très dur. Je me demandais ce que je faisais là. Pour ne pas se flinguer, il fallait être solide. »
D’autant que les effets de cette émigration sont parfois difficiles à supporter : « Les jeunes qui revenaient en vacances nous faisaient remarquer qu’on vivait dans l’inconfort, sans salle de bains, sans WC... Ils nous complexaient, nous en mettaient plein la figure. On pensait qu’en ville c’était le paradis, le théâtre et les spectacles. Quand tout le monde avait les mêmes conditions de vie, nos campagnes étaient agréables. Mais le tourisme familial nous a fait comprendre qu’on avait des existences de forçats. » Cette comparaison généralisée des modes de vie accélère le dépérissement de l’agriculture ardéchoise : pour qu’une exploitation soit reprise, il ne faut pas seulement produire un héritier biologique, mais aussi un héritier qui ait envie d’hériter — c’est-à-dire qui souhaite continuer à vivre comme ses parents (4). « Cela m’a poussé à travailler encore plus, dit Paul, pour financer la modernisation de la maison, les sorties… On n’échappait pas à l’engrenage. »
Dans les années 1970, l’agriculteur trentenaire qu’il est se trouve en désaccord avec son syndicat : les instances locales des Jeunes Agriculteurs tentent de dissuader la pluriactivité croissante des adhérents. « On me disait qu’il fallait que je me batte pour être paysan, pour vivre du travail de la terre. Mais j’avais compris que si on voulait s’en sortir, il fallait se réorienter vers le tourisme. Sinon, c’était partir ou crever. » Paul rénove alors des granges et construit des gîtes ruraux. « C’étaient les balbutiements du camping à la ferme. Les paysans accueillaient vaguement quelques campeurs. Puis ça a été le déchaînement. » En 1955, l’Ardèche comptait près de trente mille exploitations agricoles. Il en reste moins de cinq mille aujourd’hui, selon les chiffres du ministère de l’agriculture. Dans la commune de Paul, des quatre-vingts fermes qui existaient à la Libération, seules trois subsistent encore...
Un dépérissement dont Paul a identifié le responsable : « C’est le traité de Rome qui nous a tués. » Signé en 1957, le texte qui instituait la Communauté économique européenne (CEE) stipulait que les barrières douanières devaient tomber progressivement dans les six Etats membres (5). En 1962, le Marché commun agricole parachève l’ouvrage : la libre circulation des produits agricoles à l’intérieur de la CEE est couplée à la suppression des droits de douane, taxes et autres subventions nationales (6). Ce n’est que le début de la mise en concurrence des agriculteurs européens. Sur le plan national, en 1962, une loi d’orientation fixe pour objectif l’abaissement du nombre d’exploitations d’environ 2,25 à 1 million, dans un délai aussi bref que possible. En quinze ans, plus de six cent mille agriculteurs se retirent, encouragés par des dispositifs comme l’indemnité viagère de départ ou la prime à la décohabitation. Ceux qui restent entrent dans la spirale des achats de matériel à crédit, pour améliorer les rendements : l’endettement rural quadruple entre 1960 et 1973… et le Crédit agricole devient la première banque française.
Par le biais d’une forme indirecte de soutien régulier à la « banque verte », l’Etat en fait le bras armé de sa politique. En 1968, il fixe des seuils minimaux pour les superficies d’exploitation et contraint les petits paysans à disparaître : les prêts bonifiés du Crédit agricole leur sont tout simplement interdits (7).
« Je ne reconnais plus le pays, souffle Paul. Le soir, quand j’avais 20 ans, il y avait trois générations sur le pas des portes. Les anciens racontaient la guerre de 14, les femmes parlaient de leur travail, les gamins faisaient les cons… Dans chaque écurie, quatre ou cinq bœufs beuglaient. Les vieux les emmenaient boire à la fontaine. De temps en temps, la micheline passait. Elle reliait Alès à Aubenas. Elle sifflait à travers les champs de blé et les vignes… Aujourd’hui, il n’y a plus rien. » En 1982 naît le premier de ses deux enfants. Un fils. « J’avais planté des cerisiers, et je l’y emmenais. J’avais encore une lueur d’espoir. Je pensais à une reprise éventuelle… » Vingt-cinq ans plus tard, il a passé à la tronçonneuse sa centaine de cerisiers, « en pleine production » : le cours des fruits est si bas que l’on « perd de l’argent à les ramasser ». Paul explique avoir coupé ses arbres parce qu’« un verger abandonné, c’est dégueulasse, et cela devient un refuge à sangliers ».
Le grand gibier. Quasiment absent des Cévennes ardéchoises il y a une cinquantaine d’années, il prolifère depuis les années 1970 — une présence liée, et proportionnelle, à la déprise agricole. « Quand la broussaille commençait à gagner le pays, j’en discutais avec mon père. Sans trop y croire, on se disait qu’on chasserait un jour le sanglier autour du village. Aujourd’hui, nous y sommes : on chasse le sanglier partout… » Au faîte de son évolution, l’exploitation de Paul produisait chaque année sept tonnes de châtaignes, neuf tonnes de pêches, quatre tonnes de cerises, une centaine d’hectolitres de vin et près de six cents kilos d’olives. Aujourd’hui, aux touristes qu’il accueille dans ses gîtes ruraux et qui lui demandent où se situent ses terres, Paul répond qu’il n’en reste rien, hormis « des taillis, des pins, des chênes et des genêts ». Ses deux enfants ont quitté l’Ardèche : « Ils m’ont vu bosser comme quatre. Et pour rien. Ils sont partis gagner leur vie ailleurs. »
Les fils ne peuvent
plus rester à la terre
Car l’accès au marché du travail est de plus en plus difficile. L’agriculture, secteur majoritaire après guerre, est moribonde. Les effectifs de l’industrie, essentiellement concentrée dans le nord du département, sont en régression continue : — 13,60 % entre 2001 et 2007. Une diminution qui s’explique notamment par la faillite du domaine textile : durant ces six années, celui-ci a perdu près de la moitié de ses emplois, ne comptant plus que quelque deux mille salariés en 2007.
Avec ces faibles chiffres, le textile constitue encore le troisième secteur industriel de l’Ardèche, après l’automobile et l’agroalimentaire (8)… Entré à l’usine à 15 ans, en 1962, M. Jean Laurent se souvient parfaitement du temps où l’activité était florissante : à ce moment-là, l’Ardèche comptait quelque deux cent quarante établissements de moulinage et de texturation, soit plus de la moitié des entreprises de ce type en France (9)…
Fils d’ouvrier, lui-même ouvrier pendant quarante et un ans, M. Laurent est l’un des rares habitants de la vallée de Burzet à avoir fait toute sa carrière à l’usine. « Quand j’ai commencé, le pays vivait de l’agriculture et du textile. La tradition voulait que les femmes travaillent à la fabrique et que leurs maris soient paysans : cela fonctionnait très bien. Imaginez : en 1970, j’étais ouvrier rémunéré 3 francs de l’heure. Et on m’achetait le kilo de cerises à 3 francs ! Il ne faut pas une heure pour ramasser un kilo de cerises… Les fruits étaient très bien payés, et le pays prospérait grâce à cette pluri-activité. » Lors du premier choc pétrolier, une centaine de personnes sont employées dans l’usine : « A partir de ce moment-là, les effectifs ont commencé à chuter. Et le complément apporté par l’agriculture a périclité : très vite, les fruits ne se sont plus vendus. »
M. Laurent égrène les fermetures successives des usines — et leurs reconversions : commerce de proximité, village de vacances, microcentrale électrique, bibliothèque municipale, logements locatifs, boulodrome, centre d’instruction de sapeurs-pompiers… Progressivement, c’est l’équilibre de toute la vallée qui vacille : « A partir des années 1960, lorsque la grande hémorragie de la population jeune a commencé pour ne plus jamais s’arrêter, les départs sont devenus la règle, se souvient-il. Les fils ne pouvaient plus rester à la terre, et les filles qui n’avaient plus d’emploi partaient. Heureusement, en ville, la fonction publique recrutait à des niveaux de qualification très bas : l’équipement, EDF, les chemins de fer ont vu arriver beaucoup d’Ardéchois… Les enfants de mes collègues sont tous partis pour trouver du travail. »
Surveiller la piscine,
faire le ménage
En 2003, il quitte son établissement, qui comptait encore une trentaine de salariés avant sa fermeture en 2007. Retraité, il consacre une large part de son temps à la présidence bénévole de l’Aide à domicile en milieu rural (ADMR) locale. Onze salariés pour trente-cinq personnes aidées : « Force est de reconnaître que ce qui fait vivre le pays, ce sont les personnes âgées. » La maison de retraite de Burzet, avec sa vingtaine de salariés, est devenue le premier employeur du village…
La commune de Saint-Pierre-de-Colombier se trouve à quelques kilomètres de là. M. Albert Soboul, 72 ans, se souvient du temps pas si lointain où « huit usines tournaient dans le village » : il y a passé l’essentiel de sa vie d’ouvrier. Fils de paysan, il fait des études agricoles, avec l’idée de reprendre l’exploitation de ses parents : « Puis j’ai fait dix-huit mois de service militaire en France et dix mois de guerre en Algérie. Pendant que j’étais mobilisé, ma grand-tante m’a cédé sa ferme dans le cadre d’un partage de famille. Mais, lorsque je suis rentré, je me suis très vite rendu compte que ce n’était plus vivable : j’ai dû abandonner la terre. Cela paraît incroyable, quand on se rappelle que certaines maisons arrivaient à produire trente ou quarante tonnes de pommes — avec des marchés de fruits extrêmement importants dans la région… »
Qu’à cela ne tienne : « A cette époque, il n’y avait aucun problème pour se faire embaucher à l’usine. Toutes les entreprises cherchaient des ouvriers. C’est comme ça que je suis entré dans le textile. » Tout en conservant une petite activité agricole. « Les revenus de l’usine n’étaient pas mirobolants, se souvient Mme Raymonde Soboul, son épouse. Avant de me marier, j’avais joué à un loto où j’avais gagné le premier lot, un cochon de cent kilos. Mon oncle me l’a acheté : c’était l’équivalent d’un mois de salaire ! » Jusqu’à aujourd’hui, les Soboul cultivent leurs légumes, produisent leur vin, tuent le cochon et se chauffent au bois récolté sur leurs terres : une habitude prise dès les premiers mois de leur mariage, lorsque, malgré leurs salaires d’ouvriers, ils vivaient « au jour le jour ».
Il y a trois ans, la dernière usine de Saint-Pierre-de-Colombier a fermé. « C’est dommage pour la région, regrette M. Soboul. Aujourd’hui, les jeunes sont obligés de partir. » A l’image de l’unique fille du couple, qui travaille en région parisienne : « Elle aurait aimé rester ici. Mais il n’y a plus rien. » Si ce n’est l’artisanat : l’essor des résidences secondaires favorise l’existence de petites entreprises de maçonnerie, au nombre de cinq dans le village — elles emploient une vingtaine de personnes. « Tout le reste est parti », constate M. Soboul. Depuis 1982, le taux de chômage en Ardèche est systématiquement plus élevé que la moyenne nationale. Avec cinq mille deux cents emplois, seize millions de nuitées par an et 420 millions d’euros annuels engrangés, le tourisme est devenu « la principale activité du département », indique M. Jacques Mangeant, directeur de l’agence départementale du tourisme. Une activité concentrée sur quelques mois, qui offre des possibilités d’embauche uniquement saisonnières — précaires le plus souvent. Ceux qui vivent en Ardèche font les frais de cette situation socio-économique : la « débrouille » devient de plus en plus la règle.
Nicolas a fait le choix de revenir au pays. Après quelques années passées en ville à travailler dans les assurances, ce jeune homme d’une trentaine d’années regrettait «  [ses] montagnes, [son] rocher chaud, la pêche juteuse cueillie sur l’arbre ». Devenu éducateur sportif, il travaille quelques mois par an dans un centre de loisirs du sud du département, cumulant la surveillance de la piscine, la restauration, les tâches d’entretien, le ménage… Il est au chômage le reste du temps, indemnisé à hauteur de 900 euros mensuels environ. Avec sa compagne Amélie, qui travaille elle aussi de façon saisonnière dans le secteur touristique, ils disent « vivoter » : « De toute façon, pour tous ceux qui ont décidé de rester ici, c’est des petits boulots. En même temps, c’est le choix d’une qualité de vie. On est smicards, mais heureux », dit Amélie.
Le couple a emménagé dans un vieux mas appartenant à sa famille et ne paie donc pas de loyer. Et puis, dit Nicolas, il y a le jardin : chaque été, il cultive des haricots, des salades, des pommes de terre… Le reste de l’année, il tente d’acheter ses légumes directement au producteur : « Cela coûte beaucoup moins cher. » Sans parler des « fins de marché », dont il est un adepte, et où les produits de l’agriculture sont presque bradés… Et des quelques châtaignes qu’il ramasse en hiver, vendues à la coopérative locale.
Bien qu’il ait quitté la ville depuis longtemps, Nicolas est encore frappé par la différence du coût de la vie — beaucoup plus avantageux en Ardèche. Il explique aussi être « beaucoup moins poussé à la consommation : ici, le cinéma, c’est plutôt la forêt ! » Amélie sourit : « On se prive un peu, c’est vrai… » La déprise agricole a parfois ses bons côtés : Nicolas n’a qu’à se baisser pour trouver du bois de chauffage dans les forêts environnantes. Il se félicite aussi de ce que certains chasseurs lui donnent de temps en temps « un morceau de sanglier » : à ce compte-là, la consommation de viande ne coûte pas cher, d’autant qu’il s’« arrange toujours avec les petits paysans du coin pour avoir un demi-agneau »« C’est la démerde », résume-t-il.
A force d’en faire, Damien, 28 ans, lui a trouvé un diminutif : « la manut ». Ouvrier agricole, manœuvre dans le bâtiment : « Je n’ai longtemps fait que de la manutention. Parce qu’ici, à part le tourisme, il n’y a que ça. » Avec son amie, Lise, et une petite fille à élever, la situation devenait difficilement tenable. Il y a quelques années, il décide de passer le permis poids lourd : « Sans qualification, je ne voyais pas ce que je pouvais faire d’autre. » Il est rapidement embauché en CDI dans une entreprise de transport locale, « une chance » pour ce couple installé en Ardèche depuis six ans. « En général, remarque Damien, ce sont les Ardéchois “de souche” qui raflent les bonnes places, grâce à leur réseau. » Lise confirme : titulaire d’un baccalauréat professionnel agricole, elle travaille de façon saisonnière dans la viticulture. « C’est difficile d’obtenir des contrats quand on n’est pas du coin. Les agriculteurs préfèrent faire travailler leurs voisins, leurs connaissances — ils embauchent des gens “de l’extérieur” seulement quand la charge de travail devient trop importante. » Lorsque l’agence pour l’emploi « ne propose rien, ou presque », et que « pour trouver un taf, c’est souvent le bouche-à-oreille », dit Damien, le « capital d’autochtonie » (10) devient un atout non négligeable.
Des petits contrats pour
tenir ou... le départ
Lise cumule donc péniblement petits contrats dans l’agriculture, remplacements d’aides à domicile… « Avec notre petite fille, il y a des frais. Je travaillerais bien à l’année, mais ce n’est pas possible. » Le couple projette de quitter le département dans les prochains mois, pour aller vers des régions où la situation serait meilleure. En attendant, c’est le système D : parce qu’une fois payés « le loyer, la nourriture, l’eau, l’électricité et le téléphone, on est à zéro avant la fin du mois ». Damien assure « gratter tout ce qu’[il peut], par nécessité ». Lorsqu’il fait le plein de son poids lourd, il a toujours un bidon avec lui, pour son véhicule personnel : « Dix litres, sur huit cents, ça ne se voit pas. » Les « palettes éclatées » qu’il lui arrive de charger ou de décharger, avec des biens alimentaires ou autres, il se « sert dedans ». Et Damien est très bon mécanicien, ce qui lui permet de « bricoler » des voitures : « J’achète des épaves dont les gens se débarrassent à très petit prix parce qu’elles ne valent plus rien. Par exemple, une 605 dont il ne reste que le moteur après un accident. Je l’assemble à une autre 605 qui n’a plus que la carrosserie de valable. Et je revends une voiture neuve. » Dans sa cour, plusieurs véhicules sont en attente de réparations de ce type. Une amélioration conséquente pour fins de mois difficiles…
Voilà plusieurs années que Sébastien, 32 ans, travaille dans la restauration collective. Après son service militaire, à 20 ans, ce cuisinier de formation accumule les contrats : dans un centre de vacances, dans des établissements scolaires… Il fait un détour par l’intérim, travaille quelques mois comme conducteur de ligne en usine. Puis l’association qui l’emploie actuellement lui confie quantité de remplacements : « J’ai touché à tout : ménage, plonge, espaces verts, entretien des locaux… » En 2002, il finit par être embauché en CDI. Il gagne 1 200 euros par mois. Investi dans plusieurs associations, fin connaisseur de la vie locale, il note : « Pour ici, j’ai une vraie planque. »
Pierre Souchon.
Journaliste.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
(2) Cf. Karl Marx, « Ebauche d’une critique de l’économie politique », cité par Pierre Bourdieu dans Le Bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Seuil, Paris, 2002.
(3) Cf. Pierre Miquel, La France et ses paysans. Une histoire du monde rural au XXe siècle, L’Archipel, Paris, 2006.
(4) Cf. Patrick Champagne, L’Héritage refusé. La crise de la reproduction sociale de la paysannerie française, 1950-2000, Seuil, Paris, 2002.
(5) République fédérale d’Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas.
(6) Cf. Confédération paysanne, Changeons de politique agricole, Mille et une nuits, Paris, 2002.
(7) Cf. Pierre Miquel, op.cit.
(8) Cf. Florence Charpigny et Yves Morel, Vallées moulinières. Regards sur l’industrie de la soie, Parc naturel régional des Monts d’Ardèche, Montpezat-sous-Bauzon, 2007.
(9) Ibid.
(10) Nicolas Renahy, Les Gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, La Découverte, Paris, 2005.
Voir aussi les courriers des lecteurs dans nos éditions de novembre et de décembre 2010.

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