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dimanche 10 avril 2011

Faire de la politique autrement...

Peut-on faire de la politique autrement ?
Les critiques vis-à-vis du fonctionnement du monde politique sont vives. Comment le faire évoluer? De récentes tentatives se sont heurtées à l’inertie des pratiques. La démocratie participative, récemment mise au goût du jour, changera-t-elle la donne?
Difficile, à l’heure actuelle, de s’enthousiasmer pour la vie politique, au moins en France. Au-delà de préférences partisanes, un certain nombre de critiques du fonctionnement de notre démocratie semblent partagées par une majorité, pointées récemment par le sociologue Yves Sintomer (1). Un décalage idéologique, tout d’abord, qui s’est ostensiblement manifesté à l’occasion du référendum sur la Constitution européenne. Une classe politique très largement favorable au projet, des électeurs à 55% contre après des semaines de campagne intense: un tel écart, sur un sujet majeur, semble indiquer l’antagonisme des visions du monde entre représentants et représentés. Ce décalage idéologique se double d’un décalage sociologique de plus en plus criant: la politique continue d’être largement l’affaire d’hommes blancs plutôt âgés appartenant aux classes supérieures. On en déduit la liste des groupes sous-représentés: femmes, populations dites «issues de l’immigration», jeunes, classes populaires… Dernière critique majeure: la professionnalisation, qui tend à réserver le monopole de l’opinion légitime à ceux qui ont fait de la politique un métier et à instaurer en la matière une césure entre personnes «compétentes» et «incompétentes».
Le constat est bien établi, connu de tous, souvent même partagé par les acteurs politiques eux-mêmes. Pourtant, les pratiques ont toujours autant de mal à évoluer. Serait-il impossible d’inventer de nouveaux modes de représentation et de participation politiques?
S’inspirer de la démocratie directe?
Comment impliquer davantage les citoyens dans le processus de décision? Des innovations ont certes eu lieu, mais essentiellement en dehors du champ politique. Dans la galaxie de ce que l’on a appelé les «nouveaux mouvements sociaux», on a vu apparaître des fonctionnements inspirés de la démocratie directe que les années 1970 avaient portée aux nues: décisions prises au consensus et donc sans vote (AC!, G10), fédéralisme donnant aux groupes locaux tout pouvoir (Sud-PTT), absence de porte-parole officiel, délégués nationaux révocables à tout moment… Certes, les mésaventures d’Attac qui annonce qu’un autre monde est possible et se retrouve embourbée dans une histoire de bourrages d’urnes (2), montrent que ces fonctionnements sont difficiles à maintenir. Ils existent néanmoins.
De telles évolutions sont-elles imaginables dans le champ politique institutionnel ?
Dans les années 1980, des mouvements aussi opposés que Les Verts (fondé en 1984) et Chasse Pêche Nature et Tradition (CNPT, 1989) s’étaient présentés comme des tentatives de «faire de la politique autrement», avec comme point commun le rejet de la  politique politicienne» et des partis «coupés de leur base».
Plus récemment ont émergé, notamment lors des élections municipales de 1995 et 2001, des listes «citoyennes» qui entendaient « désenclaver le champ politique en l’ouvrant davantage, de l’intérieur, sur l’univers social, pour rendre les frontières davantage poreuses entre société et acteurs politiques». Parmi les plus connues, les listes «Motivé(e)s» refusent par exemple toute structure organisationnelle et ne fonctionnent qu’en démocratie directe. Affichant leur apolitisme, ils réhabilitent la convivialité («Buffet, punch, cidre, reportages, élus, candidats… De l’ambiance pour un dimanche!») pour inciter les citoyens, au-delà des élections, à s’investir dans la démocratie locale. Mais malgré les bons scores réalisés (8,22% à Rennes, 12,5% à Toulouse, 16% à Épinay-sur-Seine…), le mouvement «Motivé(e)s» semble avoir eu du mal à maintenir sa dynamique: comme Les Verts ou CPNT, il a été très vite confronté à l’alternative de se structurer et donc d’accepter a minima certaines règles du jeu politique traditionnel (alliances, centralisation des décisions, hiérarchisation…) ou bien ne peser d’aucun poids dans la compétition électorale (encadré p. 24). En témoignent crûment les récents propos de Magyd Cherfi, chanteur du groupe Zebda, candidat aux élections municipales de Toulouse en 2001 sur la liste «100% Motivé(e)s», et en 2008 sur la liste du socialiste Pierre Cohen car il ne veut plus «rêver au maire idéal»: « Cette fois-ci, il faut gagner. À l’inverse de la précédente campagne, il faudra moins de spontanéité que dans le mouvement initié par les Motivé(e)s. L’objectif est de montrer que nous maîtrisons les dossiers. Une campagne municipale ce n’est pas forcément une fiesta (3)
Changer les règles du jeu
Ce phénomène souligne, selon la politiste Christine Guionnet, « la force d’attraction indicible d’un champ politique capable de “phagocyter”, d’attirer à lui des acteurs à l’origine réticents à y entrer complètement et finissant pourtant par s’y insérer davantage». Si donc il est difficile de contourner les règles du jeu, pourquoi ne pas les changer? C’est ce que proposent par exemple les tenants d’une sixième république.
L’objectif premier est certes de modifier l’équilibre existant entre pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire pour «restaurer la séparation des pouvoir ». Mais certaines mesures visent explicitement le renouvellement et la diversification du personnel politique: durée maximale des mandats ramenés à cinq ans, limitation du nombre de mandats simultanés à un pour les élus nationaux et à deux pour les élus locaux, limitation du nombre de mandats successifs dans la même fonction à trois. Reste que ce type de propositions, évidemment discutable, n’est que très peu… discuté: le type de changement invoqué ici n’est visiblement pas à l’ordre du jour. Une modification significative des règles du jeu politique s’est cependant produite il y a quelques années: la parité. La loi votée en juin 2000 avait d’abord un objectif quantitatif: inciter les partis à présenter autant de candidates que de candidats. Mais au-delà, se profilait parfois l’idée que les femmes feraient de la politique autrement, et que leur arrivée en nombre dans le monde politique allait changer les pratiques. Un récent bilan n’incite guère à l’enthousiasme. Sur le plan quantitatif, les femmes sont nombreuses aux échelons politiques les plus bas mais s’évaporent au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie. 47,6% des élus municipaux sont des femmes, mais seulement 36,5% des adjoints et 6,5% des maires de villes de plus de 3500 habitants. 12,3% des députés sont des femmes, mais aucune n’est membre d’une commission ou d’un groupe politique. Quant aux pratiques, Catherine Achin souligne leur inertie. Certaines formes de «solidarité féminine» se sont exprimées, mais elles sont davantage liées à l’inexpérience qu’à l’appartenance de genre.
La parité, «une révolution conservatrice»
Des conflits ont éclaté entre «femmes d’avant» et «femmes d’après» la parité dans le cadre d’une «lutte pour les places». Les pratiques de cumul de mandat, souvent critiquées par les candidates en campagne, sont finalement presque aussi fréquentes chez les hommes que chez les femmes. Les stéréotypes de genre, enfin, restent relativement intacts: dans les représentations comme dans les pratiques, les femmes restent associées au proche, au domestique (démocratie locale, famille, domaine associatif), à tel point que C. Achin n’hésite pas à parler en la matière de «révolution conservatrice (5)».
Faire évoluer la compétition politique risque donc de prendre du temps. Certains de ceux qui espèrent réconcilier citoyens et élus placent néanmoins quelques espoirs dans les dispositifs de démocratie participative qui apparaissent depuis quelques années en France. Conseils de quartier, débats publics, conférences de citoyens: de plus en plus, la loi oblige les décideurs politiques à prévoir des espaces de délibération permettant la discussion de choix collectifs, qu’il s’agisse de la création d’un square ou du choix d’un site pour la construction d’un aéroport ou l’enfouissement de déchets nucléaires. Les contempteurs de ces dispositifs réunissant élus, experts et citoyens ont vite fait d’en rappeler la principale limite: créés par le pouvoir, ils n’ont qu’un pouvoir consultatif et jamais décisionnel. Il n’empêche: selon le politiste Loïc Blondiaux, «sous certaines conditions, ces innovations procédurales peuvent avoir un impact significatif sur les pratiques politiques (…). Elles peuvent enclencher parfois un processus de changement politique vertueux et compenser l’effet des inégalités structurelles face à la participation politique (6)», ce que semblent confirmer les enquêtes empiriques sur le sujet (encadré ci-contre). Une ambition modeste mais précieuse par les temps qui courent…
Xavier Molénat
NOTES
(1) Yves Sintomer, Le Pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative, La Découverte, 2007.
(2) Raphaël Wintrebert, Attac, la politique autrement? Enquête sur l’histoire et la crise d’une organisation militante, La Découverte, 2007.
(3) Christine Guionnet, «La “politique autrement” à Rennes entre récurrences et réinventions», in Jacques Lagroye, Patrick Lehingue et Frédéric Sawicki (dir.), Mobilisations électorales. Le cas des élections municipales de 2001, Puf, 2005.
(4) Magyd Cherfi, «Je ne suis pas un candidat bling-bling», www.libetoulouse.fr, 4 janvier 2008.
(5) Catherine Achin et al., Sexes, genre et politique, Economica, 2007.
(6) Loïc Blondiaux, «La démocratie participative, sous condition et malgré tout», Mouvements, n° 50, juin-août 2007.

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