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mardi 27 juillet 2010

Vendanges, abricots, cerises, etc..


Bouches-du-Rhône :

Un collectif dénonce l’esclavage des saisonniers

Le Codetras, collectif de défense des travailleurs étrangers, a saisi la Haute autorité contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) de la situation des saisonniers agricoles. Il veut que soit reconnue la discrimination dont ils sont victimes.

C’était il y a deux ans. Les saisonniers agricoles sous contrats dits OMI (Office des migrations internationales) faisaient l’actualité. Le grand public découvrait l’existence de ces travailleurs immigrés et les conditions déplorables dans lesquelles ils exercent leur activité. Pourtant, cela fait trente ans que ces saisonniers sont employés massivement dans les Bouches-du-Rhône. Ils viennent principalement du Maroc, mais aussi de Tunisie, véritables piliers de l’agriculture provençale « compétitive ». Victimes d’un sous-statut, à la fois comme travailleurs temporaires et comme étrangers maintenus en permanence dans une précarité juridique.

- Récemment, le Codetras (Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture), rassemblant une dizaine d’associations et organisations syndicales a décidé de saisir la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité). Deux questions lui sont posées : ces travailleurs saisonniers sont-ils victimes de discrimination ? Si oui, quelle solution préconise la Halde pour y remédier ? « La démarche vise à planter des repères juridiques, à une reconnaissance officielle du problème, explique Hervé Gouyer, juriste pour le Codetras, membre de l’Association accueil aux étrangers. Si la Haute autorité reconnaît que ces travailleurs sont victimes de discrimination, cela pourra peser pour faire reconnaître nos actions. C’est une étape supplémentaire dans un combat lancé il y a de nombreuses années. »

- Le dossier s’adresse aux saisonniers de longue durée, ceux qui travaillent ici durant huit mois dans l’année. « Depuis très longtemps dans les Bouches-du Rhône, les travailleurs saisonniers servent à pourvoir les besoins de main-d’œuvre permanente de l’agriculture, avec un emploi massif sur des contrats particulièrement longs, qui n’ont plus grand rapport avec ceux de saisonniers », poursuit le juriste. L’utilisation de la main-d’œuvre étrangère dans l’agriculture des Bouches-du-Rhône est une pratique ancienne. Avant les années soixante-dix, Espagnols et Portugais constituaient déjà le gros des effectifs d’ouvriers saisonniers. A partir de 1974, les contrats « OMI » se sont généralisés en Provence où l’élevage de moutons, le fourrage et les cultures maraîchères représentaient les principales activités agricoles. Dans les années quatre-vingt, la concurrence espagnole a ôté aux cultures de plein champ de la région la qualité de primeur et a poussé les exploitants à se spécialiser dans la serriculture et l’arboriculture intensive. Ces transformations ont nécessité l’apport d’une main-d’œuvre supplémentaire, plus seulement pour quelques semaines mais pour quelques mois.

L’employeur tout puissant

Aujourd’hui, environ 4 000 travailleurs saisonniers quittent le Maroc ou la Tunisie pour la récolte de fruits et légumes dans les Bouches-du-Rhône, pour certains, depuis plus de vingt ans. « Certains secteurs d’activité se sont tellement industrialisés que le travail se fait onze mois dans l’année, et des équipes se relaient jour et nuit. » Et là, le Codetras estime qu’il y a abus de recours à la main d’œuvre saisonnière. « Par définition, le travail saisonnier ne peut faire l’objet que d’un contrat à durée déterminée. Or, dans les Bouches-du-Rhône, on observe de grandes périodes d’activité. Pour travailler huit mois par an, il faut bénéficier d’une dérogation, accordée à titre exceptionnel sous certaines conditions. L’employeur doit notamment justifier ne pas trouver localement la main-d’œuvre dont il a besoin. Or, la préfecture et la direction départementale du travail ont complètement détourné cette réglementation en accordant systématiquement des dérogations aux contrats de plus de six mois. Nous estimons donc que le statut réel des saisonniers est en fait celui de travailleurs permanents et comme tous les étrangers que l’on fait venir pour travailler en France à titre permanent, ils doivent bénéficier d’une carte de séjour. »

- Ainsi, toujours considérés comme des non-résidents, ils subissent des discriminations dans des domaines aussi divers que les conditions d’accès à l’emploi, à la formation et la promotion professionnelle, à la justice, à un logement décent, aux soins, à la protection maladie, à l’assurance chômage, à la retraite... et vivent constamment dans la crainte que leur contrat de travail ne soit pas renouvelé. « C’est l’employeur qui fait venir le saisonnier. Au moindre problème, à la moindre contestation, la menace pèse sur les ouvriers que le contrat ne soit pas renouvelé l’année suivante. L’employeur se retrouve donc tout puissant, en mesure de pouvoir dicter ses conditions à des ouvriers qui se retrouvent dans une situation de subordination totale. Car même s’ils vont gagner très peu d’argent en France, ce sera toujours plus qu’au Maroc. »

« Nous voulons frapper fort »

Les salariés, souvent, travaillent chez le même employeur, tous les ans, depuis de nombreuses années, mais sont maintenus au rang de manœuvre toute leur carrière. « Alors qu’au bout de vingt ans, beaucoup deviennent les ouvriers les plus qualifiés. Ils savent tout faire : les traitements, les tailles... mais ils vont être payés au Smic, l’ancienneté ne sera jamais prise en compte. Ils sont soumis à des heures supplémentaires non payées. » De même, leurs conditions de logement sont souvent déplorables : entassés dans des dortoirs, avec des sanitaires insuffisants voire inexistants. Les limites ont été atteintes depuis bien longtemps. Certains employeurs faisant payer cher les contrats aux salariés : parfois 700 euros... Un mois entier de travail. Et les premiers contrats peuvent se vendre très chers. « Parfois 10 000 euros ! L’employeur peut bénéficier d’une main-d’œuvre complètement gratuite. »

Depuis, certains travailleurs saisonniers sont allés réclamer leurs droits aux prud’hommes. Le Codetras a démontré que l’administration portait la responsabilité d’avoir enfermé ces travailleurs dans un statut inapproprié en droit, que leur statut réel n’était pas celui d’un saisonnier mais celui d’un travailleur permanent. « Nous voulons frapper fort, poursuit Hervé Gouyé. Le signal est destiné aux patrons. Nous leur disons : vous ne pouvez pas maintenir l’agriculture compétitive en enfermant des travailleurs saisonniers dans un sous-statut et en profitant d’une façon abusive de leur vulnérabilité. Si à la suite de notre action, des peines de prison sont annoncées, ils commenceront à découvrir qu’ils ne peuvent plus continuer comme ça. »

Travailleurs saisonniers : dans l’enfer des contrats OMI

Entressen, Mas de la Melonnière, jeudi 24 juin. Il est 19 heures, les dix-huit ouvriers marocains de l’exploitation terminent leur travail. Deux d’entre eux sont partis chez un médecin. À leur retour, l’employeur explose! Après les avoir insultés, il s’attaque plus particulièrement à l’un d’eux: gifles, étranglement, jets de vaisselle au visage, sa colère semble sans limites. Mais ce jour-là, les salariés décident collectivement de dire stop. Dès le lendemain matin, ils font constater les blessures à l’hôpital, portent plainte et prennent contact avec un syndicat. Dans l’après-midi, représentants syndicaux et salariés se rendent sur l’exploitation pour dialoguer avec le paysan… Face à eux, une quinzaine d’hommes (tous exploitants agricoles des environs) sont armés de masses, de bâtons. Après quelques insultes, ils chargent, blessant deux ouvriers à la tête avec de grosses pierres, ainsi que le représentant régional de la CGT agricole. La police est prévenue. Les blessés gisent à terre, mais la force publique ne se presse pas: «il n’y a pas mort d’homme» déclarent-ils aux personnes présentes… Mis en sécurité et exerçant leur droit de retrait, les saisonniers commencent à parler…
«Dans ta chambre!», c’est ainsi que pendant des années, l’exploitant punit ceux qu’il nomme son «
troupeau». Toutes les excuses sont bonnes: «celui qui ne me préviendra pas la veille qu’il sera malade le lendemain sera puni quinze jours dans sa chambre!», «Tu fumes une cigarette? Tu as trop d’argent, dans ta chambre», ou encore «Tu me regardes dans les yeux? Dans ta chambre»… Chaque jour de punition est déduit du salaire mensuel. Les ouvriers ont six mois pour gagner de quoi faire vivre leur famille tout le restant de l’année et travaillent d’arrache-pied. Pour près de 300 heures effectuées dans les champs, seules 110 à 130 sont comptabilisées et payées.
Chaque année, un ou plusieurs ouvriers sont battus et les humiliations constantes. Et le pire est à craindre
: tous racontent comment le «patron» traite chimiquement les arbres pendant qu’ils travaillent sans aucune protection. Et le patron détient une arme absolue: le contrat de l’année suivante! La loi française permet en effet aux exploitants agricoles des Bouches-du-Rhône de recruter les contrats OMI nominativement. Ceux qui tentent de faire respecter leurs droits ne reviennent jamais. Tous les saisonniers immigrés le savent et se taisent.
Les exploitants français disposent ainsi d’une main-d’œuvre efficace, sous payée, disponible car logée sur place, et recrutée en fonction de sa résistance physique. Soumis et dépendants de par la nature même du contrat, les «OMI» sont devenus des «permanents à temps partiel». Chaque année, ils viennent donc pendant six mois, en toute légalité, ramasser pêches, cerises et abricots. Ils disposent d’un titre de séjour qui n’est valable qu’avec leur contrat de travail. Pieds et poings liés, les salariés OMI baissent la tête et espèrent que l’année suivante, les heures supplémentaires seront payées, comme le «
patron» le promet chaque année. L’utilisation d’une main-d’œuvre étrangère est habituelle dans le sud de la France, car elle permet de réduire les coûts de production et de rester concurrentiel sur le marché international. Aujourd’hui, les dix-huit ouvriers de la Melonière sont en «conciliation» à la direction du travail et exercent toujours leur droit de retrait, craignant que les patrons ne reviennent armés pour les punir. La préfecture a été saisie. Pourtant, depuis le 24 juin, c’est la solidarité qui permet à ces hommes d’être logés et nourris… Un système féodal, pour engendrer un peu plus de bénéfices. L’attitude des agriculteurs démontrent leur sentiment d’impunité vis-à-vis de ces hommes qu’ils traitent moins bien que leur bétail.
Véronique Granier

Nadège Dubessay

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