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vendredi 11 juin 2010

Mémoire vive : Quand le nucléaire tuait en France...


Récit d’une guerre atomique simulée

Nucléaire . L'Observatoire des armes nucléaires, une association basée à Lyon, vient de rendre public un rapport classé “confidentiel défense” sur les essais nucléaires au Sahara dans les années soixante. Une version publique qui en cacherait une autre.

Confidentiel défense. Le sceau est apposé au haut et au bas des 260 pages dactylographiées du rapport. Rapport sur les essais nucléaires français (1960 - 1996). Tome 1. La genèse de l’organisation et les expérimentations au Sahara (C.S.E.M et C.E.M.O.). “Il s’agit du seul document de synthèse connu à ce jour sur les tirs nucléaires français” avise Patrice Bouveret. L’Observatoire des armes nucléaires, qu’il a co-fondé à Lyon, a rendu public le document en l’envoyant à l’ensemble des grosses rédactions du pays. C’était mi-février, pile poil pour le 50e anniversaire du premier essai nucléaire français, dans le Sahara. Si les faits avaient été révélés dès 1998 par Le Nouvel Observateur, il n’en reste pas moins que des éléments nouveaux apparaissent au grand jour. C’est aussi un joli “coup” médiatique qui a l’habilité de relancer la polémique sur le projet de décret d’application de la loi Morin (indemnisation des victimes des essais nucléaires) transmis au Sénat fin février. Décret, qui, il faut bien le dire, ne passionne pas les foules.

Simulation de guerre nucléaire grandeur nature

Et pourtant, ce qui s’est produit le 25 avril 1961, peut se résumer à une simulation de guerre nucléaire grandeur nature, au beau milieu du désert saharien. Objectif : “étudier les effets physiologiques et psychologiques produits sur l’homme par l’arme atomique, afin d’obtenir les éléments nécessaires à la préparation physique et à la formation morale du combattant moderne”. L’ “expérimentation” sera réalisée dans la précipitation, compte tenu du contexte politique ultra tendu (putsch des Généraux). Ce sera l’ultime tir atomique français dans l’atmosphère algérienne. Une bombe à plutonium est placée au sommet d’une tour métallique de 50 mètres.

Deux centaines d’hommes, triés sur le volet, habillés de survêtements en polythène (bottes, pèlerines, gants) et masques de combat, creusent des abris recouverts, à 3,3 kilomètres du point zéro, le point d’impact de l’explosion.Des chèvres sont placées devant les tranchées pour voir l’effet direct qu’aura l’explosion atomique. À l’heure H, la bombe explose. Ils aperçoivent quand même le flash lumineux aveuglant “au travers des bras repliés devant les yeux fermés”. Un tremblement de terre secoue les abris. Le bruit est assourdissant. Il correspond à “un coup de canon de 105 tiré à 10 mètres”. Un “léger vent chaud” - l’effet thermique - pénètre dans les abris. La radioactivité se propage.

“Un effort d’imagination pour jouer le thème voulu”

Les manœuvres commencent. “Après l’explosion, à H+ 20 minutes, les hommes sortent des abris et regardent le nuage avec appréhension”. Les chèvres sont indemnes, à, l’exception d’une seule qui semble “ne plus avoir de réaction visuelle”. À H+ 35 minutes, la section de soldats “progresse à pied en formation de combat en direction du point de l’explosion”. Au cours de la progression, “des incidents (sont) créés pour faire exécuter les différents actes du combattant (...) tirant et lançant des grenades, rampant, sautant et courant”. Deux kilomètres sont couverts en 40 minutes. L’un des fantassins, “malade (est) évacué en camionnette”. Plus loin, “à 1.100 mètres du point zéro (...) les hommes (aperçoivent) nettement les dégâts occasionnés après les effets directs de l’explosion”.

Les hommes sont embarqués à 650 mètres du point d’impact et embarque sur des véhicules pour rejoindre la cellule de décontamination. “La durée totale de l’exercice a été de 3 heures”. Quant au groupement de chars, qui effectue en parallèle une mission de “réoccupation d’une position touchée par une explosion nucléaire ennemie coordonnée avec une contre-attaque blindée”, il s’approche jusqu’à 275 mètres du point zéro. Il est “arrêté par “le mur de radioactivité”. C’est gigantesque : ici, la quantité d’énergie radioactive dégagée correspond à 200 fois l’énergie maximale admissible en un an (selon les normes de 2008).

Aucun suivi médical et un rapport top secret “trié”

Pour les auteurs militaires du rapport, cette guerre nucléaire est présentée comme un jeu : “l’absence de réaction ennemie (nécessita) un effort d’imagination et d’extrapolation pour jouer le thème voulu”. Dans ce contexte de guerre froide, où le risque d’un conflit nucléaire généralisé était prégnant, “ces manœuvres tactiques pouvaient se comprendre, explique Patrice Bouveret, de l’Observatoire des armes nucléaires. Ce qui est très choquant, c’est qu’il n’y a eu aucun suivi médical des soldats. Ils sont passés à la douche, sont rentrés chez eux et basta ! Les autorités savaient pourtant pertinemment les risques qu’ils avaient fait prendre à leurs troupes. C’est criminel”. On apprend que des “rats exposés (dans des enceintes closes) entre 575 et 645 m sont morts entre J+3 et J+9”. “Mais pas une ligne à propos d’un quelconque effet biologique sur les fantassins” peut-on lire dans la lettre d’information de l’Observatoire des armements.

Entre les renseignements auxquels a eu accès Le Nouvel Obs en 1998 et ce récent document “top secret” de l’Observatoire des armes nucléaires, le puzzle se reconstitue. Mais comme conclut Bruno Barillot, auteur d’un récent livre sur les victimes des essais nucléaires*, “il s’agit d’une relecture officielle de la période des essais nucléaires français. Les rédacteurs ont dû trier dans les documents sources, ce qui explique les incohérences et surtout les silences et les omissions”. En d’autres termes, il y aurait une version “confidentiel défense” publique et une autre planquée dans les placards du Ministère de la Défense ou de la Grande Muette. Dans le contexte actuel de course effrénée au nucléaire civil, dont la France veut garder le leadership, le gouvernement s’est armé en interdisant notamment l’accès aux archives nucléaires, désormais “incommunicables”...

L’Observatoire des armements est ouvert du lundi au vendredi entre 9h et 18 h. La documentation peut-être consultée sur place (sur rendez-vous).

Patrice Bouveret

Observatoire des armements
187 montée de Choulans
69005 Lyon

Transports :

Prendre le bus 49 ou 73 à partir de Perrache ou le 30 à partir de Bellecour,
s’arrêter à l’arrêt Saint-Alexandre
l’Observatoire des armements est en face de l’arrêt.

http://www.obsarm.org/spip.php?article46

Par téléphone : +33 04 78 36 93 03
Par fax : +33 04 78 36 36 83
par e-mail : cdrpc@obsarm.org

- Victimes des essais nucléaires : histoire d’un combat. Bruno Barrillot. Observatoire des armements. Février 2010. 15 euros.

- Au printemps 1984, trois militants lyonnais - Bruno Barrillot, Patrice Bouveret et Jean-Luc Thierry - impliqués depuis déjà quelques années dans les mouvements antimilitaristes et de paix, décident de mutualiser leur documentation…

Ce projet vise à étayer la mobilisation de la société civile et du mouvement de paix avec une information précise et des analyses sur les enjeux stratégiques des armements. Les carences dans ce domaine représentent, pour eux alors, une des explications de la faiblesse congénitale du pacifisme en France.

Ils créent le Centre de Documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits (CDRPC), devenu en 2008, l’Observatoire des armements / CDRPC.

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