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dimanche 16 mai 2010

La journée de la Femme c'est tous les jours

(H)éros y es-tu ?

Nous avons rencontré Jacqueline au Festival des Sciences de Chamonix-Mont-Blanc qui a lieu tous les mi-mai depuis 20 ans.

Licenciée en lettres classiques, Jacqueline Kelen explore depuis sa jeunesse la soif d’absolu qui la taraude et restitue ses recherches et son expérience flamboyante dans des ouvrages où vibre sa mystique intime. L’essentiel de son écriture se coule dans les grands mythes de l’humanité, comme en témoignent ses ouvrages, dont Marie-Madeleine, un amour infini, éd. Albin Michel, L’Eternel Masculin, éd. Robert Laffont, Les Femmes éternelles, éd. Anne Carrière ou Le secret de Mélusine, éd Presses de la Renaissance.

Au secours, Barbe-Bleue, Don Juan, Gauvain, Roméo, Hercule, Riquet à la Houppe ! Ne disparaissez pas dans la forêt des contes et des mythes. Les femmes ont encore envie d’être désirées, aimées, convoitées, protégées, étonnées. Elles ont encore envie d’aimer, d’admirer les hommes (au moins un), et les séduire, les troubler, les émerveiller. Hélas...

J’ai de plus en plus de mal à me fier aux mythes et aux légendes. Je croyais qu’ils pouvaient nous indiquer un chemin clair. Aujourd’hui pourtant, je suis forcée de constater que les mythes du couple ne peuvent s’incarner car une des parties est défaillante, manquante (et ce n’est pas toujours la partie masculine) ; je constate que l’époque moderne, urbanisée, a standardisé hommes et femmes, a fait d’eux une espèce mixte, unisexe, ready-made et pré-mâchée (bientôt lyophilisée). Je déplore que la réalité ne cesse de démentir et de détruire le rêve : éternelle plainte des inadaptée sociaux, des dinosaures lyriques ?

Je vais vous donner des exemples. Si j’évite les rôles, très nombreux, de femmes abandonnées, humiliées, massacrées - les Didon, Eurydice, Ariane, Jézabel... - qui, dans les mythes et les contes, vais-je trouver qui convienne à mon destin de femme ? À quelle figure vais-je faire appel pour incarner personnellement mon éternel féminin ?

J’aime bien Shéhérazade, elle est belle et courageuse, sait user de la parole et de ses connaissances pour séduire un tyran misogyne, Shariar. Mais voici : les femmes intelligentes, celles qui parlent, parlent toujours trop selon les hommes et ne sont pas de tout repos. Aujourd’hui, les hommes éviteront les conteuses, du reste ce sont eux, les colloqueurs, les maîtres-prêcheurs, et les femmes, voilées ou non, n’ont qu’à les écouter humblement.

Je saute les siècles et je m’imagine femme fragile, vulnérable, disons Jane. Mais Tarzan ne m’offre pas son épaule secourable, sa force rassurante : aujourd’hui, il se produit dans les stades, montre ses muscles aux Jeux Olympiques. Et à une Jane tremblante, décontenancée, il lance : “ Vous, les femmes, vous avez voulu votre indépendance ! Vous devez désormais assumer, ou faire du body-building... ”

Tentons la séduction, jouons Salomé, la Reine de Saba, la grande amoureuse. Mais l’homme, qui devant une femme fatale se voit déjà découpé en rondelles ou privé de sa virilité (cf. les Osiris, Abélard, Jean-Baptiste et Samson), connaît désormais la musique : il préfère à une visite enchanteresse sa navigation sur le web ou ses cassettes vidéo ; et plutôt que de répondre aux énigmes posées par la Reine des Sables, Salomon exerce ses neurones avec son cher ordinateur.

Et si j’étais le Chaperon Rouge ? Touchant, non ? Innocente, ingénue, mignonne à croquer... Mais le loup est devenu végétarien, il sublime ses instincts, il est presque parvenu à l’ouverture de son 6ème chakra : le Chaperon Rouge n’est, bien sûr, qu’une ombre de Maya. Les autres loups, qui ont conservé leurs instincts vitaux, sont en voie de disparition (ils ont rencontré l’homme, qui est un loup pour...).

Revenons aux temps chevaleresques, troubadouresques. Je suis une Dame courtoise, une muse, une inspiratrice. Je pourrais m’appeler Genièvre, ou Dulcinée. Mais Lancelot ne se bat plus pour les couleurs et l’amour de sa Dame ; désormais, il est sponsorisé : il roule (chevauche) pour Marlboro, Adidas ou William Saurin. Quant aux poètes et Don Quichotte, ils savent depuis quelques années qu’il vaut mieux courtiser les ministres et les politiciens, obtenir une aide, une avance sur recettes du Ministère de la Culture que de s’inspirer de sa Belle en toute gratuité. Bien. Je ne tenterai plus rien. Je vais attendre, patiemment, dans l’ombre ou dans la nuit. Je me ferai Cendrillon, Pén élope, Peau d’âne, Belle au bois dormant. Je me cacherai et, bien sûr, comme c’est écrit or sur bleu dans les contes, “ il ” me trouvera, il viendra me chercher, me délivrer, m’épouser... Mais le Prince charmant n’arrive pas : il est lui-même bien fatigué, passablement amorti, il a déjà tant de soucis à son bureau, avec ses placements bancaires et ses plans d’épargne, il chouchoute d’abord son automobile, il lustre sa propre carrosserie. Le travail, l’argent, l’activité, voilà des choses sérieuses. Le Prince charmant est un battant, ses princesses s’appellent “ OPA ”, “ SICAV ”, “ PME ”, “ START-UP ”... Alors je parie sur le couple uni, fort comme la mort, je serai la femme d’un seul homme, d’un seul amour. Me voici Yseult, Juliette, Sita, Baucis. Ni vous sans moi, ni moi sans vous. Je meurs ou je m’attache. Tu es pour moi le monde, etc. J’irai même crânement jusqu’au mariage. Mais ici deux obstacles : Tristan, Rama, Philémon estiment aujourd’hui que soit le mariage est une chose tellement importante que cela demande toute une vie de réflexion ; soit que la formalité est tellement légère, sans importance, que ça n’en vaut même pas la peine. Obstacle supplémentaire au rêve de couple uni, plus fort que la mort : le discours psy. Ces braves âmes nous ont tellement répété que le fusionnel, c’est l’horreur, qu’être amoureux à ce point-là, c’est névrotique, qu’Yseult se prend pour une vampire, que Baucis fait chambre à part et que Juliette retourne chez papa-maman.

Allons donc carrément du côté des fées. Endossons la robe de poisson de Mélusine, et proposons à un homme un amour secret, sacré. Hélas, le mortel Raymondin se moque bien aujourd’hui d’aller découvrir Mélusine en son bain : il est rassasié de nudités, de seins, de cuisses, de publicités et magazine déshabillés. Il a perdu le sens du mystère. Mélusine ne peut survivre dans un monde de repus.

Si les mythes tombent en miettes, que vivre désormais, si l’on sent encore son cœur battre ? Qu’inventer, si le rouleau compresseur n’a pas laminé tout espoir ? Faut-il mettre de l’eau dans son champagne ou, tout de suite, se mettre au régime sec - à savoir, se passer des hommes, régler une bonne fois ce problème récurrent ? Oui, je pourrais vivre en Béguine, en Renonçante, en Sœur humanitaire, en Philosophe hautaine, plus tard en Androgyne accompli(e). Oui, mais : je me priverais de grandes joies, de grandes invectives, de grands désespoirs, de grands tracas, de grands étonnements, si la gent masculine disparaissait de mon existence.

Il y a toutefois un rôle féminin qui tient bon à notre époque, que les femmes peuvent tenter à coup sûr auprès de nombreux hommes : la Maman, la Nounou. Il ne s’agit pas tant d’assurer de bons petits plats, une maison agréable, un confort affectif, une tendre sollicitude : il faut être le parangon de l’Amour inconditionnel à l’égard des hommes : pas de critiques, pas de récriminations, pas de plaintes, pas de scènes, aucune revendication et assez peu d’exigence. Aimer l’homme d’un amour donné une fois pour toutes, un amour énorme, incommensurable, à toute épreuve, jamais remis en question. L’aimer comme aime Dieu la Mère. J’aimerais proposer une relation nouvelle, joyeuse et fraternelle : l’amitié avec un homme. La sexualité et le sentiment amoureux ont déjà fait beaucoup de dégâts et brouillé plus de pistes qu’ils ne nous ont rapprochés, femmes et hommes. Sur ce point, le mythe reste muet : l’amitié entre homme et femme est à inventer, elle n’a pas de modèles dans les contes. Il va falloir se frayer un chemin, clair assurément, entre peur et pouvoir, entre désir et rejet, entre illusions et idéal. Il va falloir aimer la liberté de l’autre, et d’abord vouloir la découvrir. Cela prendra du temps, mais l’amitié n’est pas pressée : elle sait que, homme et femme amis, nous vieillirons ensemble.

Et puis, il y a le rire, l’humour, qui sont amour de la vie, générosité, ouverture, qui font la légèreté et l’élégance d’une existence qui se sait éphémère. Rire, faire rire et sourire, c’est une façon - et non la moindre - de faire passer la vie. Et la vie, c’est une spécialité de femme, après tout.

Jacqueline Kelen

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