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jeudi 8 avril 2010

Pour que le peuple participe...

" Il ne suffit pas de faire appel au peuple pour que le peuple participe. " Entretien Marion Carrel, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Lille 3, auteure de " Pauvreté, citoyenneté et participation. Quatre positions dans le débat sur les modalités d’organisation de la “participation des habitants” dans les quartiers d’habitat social ", dans Cultures et pratiques participatives, une perspective comparative, sous la direction de Catherine Neveu, L’Harmattan, 2007. Maître de conférences en Sociologie marion.carrel@free.fr (photo)
- Il est souvent dit que les catégories populaires sont les grandes absentes des processus participatifs. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?
Pas entièrement. Lors d’enquêtes de terrain dans les quartiers d’habitat social à Grenoble, j’ai pu constater que les personnes situées au bas de l’échelle sociale n’étaient pas totalement invisibles dans les processus participatifs. Au contraire même, j’ai remarqué que l’envie de participer était très forte parmi elles. Le problème c’est que souvent les espoirs suscités par ces dispositifs sont déçus, la plupart du temps du fait que les processus à l’œuvre ne sont pas vraiment participatifs. Or, ces personnes ne sont pas idiotes : lorsqu’on leur dit de venir à une réunion publique afin de donner leur avis sur tel ou tel sujet et, qu’au final, on leur explique que leurs remarques ne rentrent dans aucune case, ils sont bien conscients que ce c’est pas de la participation mais de l’information descendante…
Au bout du compte, ayant le sentiment d’avoir été trompées, ces personnes ne reviennent pas dans ces dispositifs. Ce qui aboutit à ce que les visions stéréotypées s’exacerbent, d’un côté comme de l’autre : pour les catégories populaires, l’incompétence de l’administration et du politique à prendre en compte leurs problèmes est encore plus flagrante, tandis que pour les organisateurs de ce type de réunions publiques, le sentiment que ces gens ne veulent pas participer est renforcé.
- Qui sont ces personnes qui ont du mal à s’insérer dans les processus participatifs ?
Il s’agit en grande majorité des personnes non ou peu diplômées, des jeunes, des mères de famille, des français issus de l’immigration et des étrangers. C’est-à-dire à peu près les mêmes catégories que celles qui sont privées ou se tiennent écartées du vote. Cela souligne que le " cens caché ", dont parlait Daniel Gaxie, en 1978, pour évoquer les inégalités culturelles et la ségrégation politique à l’œuvre dans la démocratie représentative, existe aussi dans les processus participatifs. Selon Daniel Gaxie, le cens caché explique que, bien que chacun soit égal en droit, en réalité, ce sont toujours majoritairement les hommes, et parmi eux les plus diplômés et les plus blancs qui détiennent les positions d’élus ou de représentants du peuple. Or, un des grands espoirs de la démocratie participative était justement de faire éclater ce cens caché. Force est de constater pourtant que ce n’est pas le cas car il ne suffit pas de faire appel au peuple pour que le peuple participe.
- Comment expliquez-vous que cette notion de " cens caché " persiste dans les structures participatives ?
Je pense que cela s’explique par le fait que les dispositifs participatifs, tels qu’ils sont mis en œuvre en France, ne sont pas particulièrement adaptés à des populations qui ne maîtrisent pas bien la langue, le vocabulaire lié à ces thématiques, et / ou ne sont pas à l’aise avec ce genre de questions. Je crois que nous avons comme idéal un citoyen désincarné, capable de laisser ses particularités au vestiaire. Or, lorsque notre position dans la société fait que l’on a peu de reconnaissance sociale, comme lorsque l’on est peu diplômé, il apparaît que l’on a plutôt tendance à s’auto-exclure des processus démocratiques. D’autant que notre société cultive un regard de mépris envers les personnes peu diplômées, jugées incapables de s’exprimer publiquement, selon les codes de la parole distanciée, dans le langage de " l’intérêt général ". Ce mépris social aboutit à ce que la personne visée a beaucoup de mal à s’accorder le droit à la parole. De fait, en général, elle préfère laisser la place aux autres, prise d’un sentiment d’infériorité et de déférence à l’égard des autorités, qui peut aussi se transformer en colère ou en résignation et conduire au repli et à la dévalorisation. Une autre piste d’analyse est le degré de partage de pouvoir effectif que ceux qui le détiennent sont prêts à mettre en œuvre : lorsque les habitants des quartiers d’habitat social sont appelés en amont des projets, avec le rôle précis de co-producteurs de diagnostics, de propositions, voire de décisions, alors les expériences, notamment étrangères, montrent qu’ils participent davantage.
- Que nous dit ce phénomène sur la capacité de la démocratie participative à susciter un regain d’intérêt pour la chose publique ?
Cela souligne très clairement que la démocratie participative ne permet pas de lutter par magie contre le phénomène de " cens caché ". Il faut donc que les tenants et les aboutissants de la démocratie participative soient clarifiés, que les participants sachent en toute transparence ce que leur parole va devenir et que, surtout, les démarches participatives soient aménagées sur des temps plus longs, avec un investissement monétaire et professionnel à la hauteur des enjeux démocratiques en question. Le but étant de restaurer la confiance et de sortir des représentations stigmatisantes et excluantes qui forgent, du côté des plus défavorisés comme du côté des plus favorisés, l’idée d’un impossible dialogue entre les classes.
- Quels sont les risques, pour la société, si cette non-participation des classes populaires perdure ?
Ceci est tout d’abord néfaste pour la démocratie, car de nombreux problèmes sociaux, notamment celui des violences, symboliques et réelles, qui concernent surtout ces populations, ne sont pas débattus publiquement. Or, la base de la démocratie est de permettre le traitement de tous les problèmes qui, par leur répétition, entravent le vivre ensemble, et de favoriser la transformation de la violence en conflits argumentés.
Cela a également des conséquences sur l’autonomie des personnes, puisqu’on sait qu’hors de la parole publique, il est difficile de s’émanciper individuellement et collectivement. Enfin, le danger est que la fracture civique, déjà à l’œuvre dans la démocratie représentative, ne se renforce dans la démocratie participative. Ce qui serait un échec total.
Propos recueillis par Aline Chambras
http://www.adels.org/territoires/482.htm
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