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vendredi 16 avril 2010

Die 26150 : interview de Coline Serreau

Vous avez vu « Solutions locales pour désordre global »au Rencontres de l’ Ecologie de Die en Janvier 2010 dernier en présence de Coline Serreau. Il est repassé au Cinéma « Le Pestel » cette semaine.
“Bientôt, avant de passer à table, au lieu de se souhaiter bon appétit, il faudra se souhaiter Bonne Chance ! “. J’ai eu la chance de rencontrer Coline Serreau le 15 mars, juste après avoir vu son film. Elle nous a accordé une interview dans laquelle nous évoquons librement des tas de sujets autour du film, de la terre, bien sûr, mais aussi du féminisme aujourd’hui.
Catherine : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant le tournage ? Combien de temps a-t-il duré ? Coline Serreau : Le tournage s’est étalé sur trois ans… le montage deux ans. lI y avait des choses que je tournais en même temps. L’ensemble, c’est un travail de trois ans. La Belle Verte, tournée en 1996, parlait déjà d’écologie et d’une transformation radicale de notre mode de pensée. Il était très en avance, et n’a rencontré le public que bien après sa sortie.
 Il vient d’être réédité en DVD-livre chez Actes Sud, c’est dire qu’il connaît une belle seconde vie.
Il y a trois ans, j’ai commencé à tourner pour mon plaisir des reportages sur divers sujets, dont un entretien avec Pierre Rabhi que je connaissais depuis quelques années. En rentrant du Maroc où j’avais filmé quelques-unes de ses actions, je me suis dit qu’il fallait continuer ce travail et approfondir le sujet dans le monde entier, avec tous les acteurs du changement.
 Je suis donc partie en Inde, au Brésil, en Ukraine, en Suisse, pour interviewer des gens qui proposaient des alternatives crédibles à notre système. J’ai voulu que la parole soit portée autant par les théoriciens et ténors des différents mouvements que par les paysans et les petites gens qui sont les vrais acteurs et inventeurs des changements. Je ne voulais pas faire un film qui culpabilise et déprime les gens.
Catherine : Vous avez fait des aller–retour ? Coline Serreau : Non je ne suis pas retournée en Inde et au Brésil ni au Maroc d’ailleurs. Je n’y suis allée qu’une fois… J’avais tellement de matériel.
Catherine : Pensez-vous qu’un retour à une agriculture bio ou biodynamique puisse nourrir les 6 milliards d’êtres humains? Et combien de temps faudra-t-il pour purger la terre des engrais et des pesticides ? Coline Serreau : Oui… Bien sûr… Bio et locale! Sinon ça ne sert à rien !
Purger la terre, ça par contre… Mais il y a des friches et on peut aussi enlever des parkings… On peut récupérer de la terre. Mais une terre morte, comme ça, tuée par les engrais, les pesticides… c’est quand même entre dix et quinze ans… les solutions, en attendant, c’est de manger sur des potagers localement, ça c’est faisable. Il y a à peu près assez de terres partout dans le monde pour y arriver; ça ne demande pas beaucoup de terre, l’agriculture qu’on appelle extensive, qui nourrit une famille, qui est variée, en polyculture, dans un système intégré avec des animaux… Ce n’est pas énormément de terre qu’il faut, parce que, par exemple, dans le film, on voit Narayan Redi – mais c’est un très bon agriculteur, lui… Sur un hectare huit, il nourrit 15 personnes en autarcie totale. Et il vend beaucoup de produits en plus. Et tout est gratuit là. Il n’achète ni tracteur, ni engrais. Ses graines il les fait; donc il est totalement dans un circuit qui tourne par lui même.
Catherine : Il fait ses graines et il les échange aussi ? Coline Serreau : Oui il les échange. De toute façon, les graines dans l’humanité ça ne doit pas se vendre, ça s’échange, ça se donne, ça se reproduit soi-même, ça se sélectionne… ça ne s’achète pas…
Catherine : Ce documentaire représente (à mes yeux) un sérieux danger pour les sociétés qui exercent les monopoles que l’on sait. Avez-vous rencontré des problèmes lors de sa production ? Coline Serreau : Non, parce que ça s’est fait très discrètement. J’étais toute seule avec ma caméra (rires) donc, non, je n’ai pas remué ciel et terre pour faire de la publicité. Et comme en plus je n’ai pas demandé de financements aux chaînes de télévision, j’étais tranquille…
Catherine : A-t-il été autoproduit ? Coline Serreau : Dans un premier temps par moi, oui. Ensuite avec une petite aide de Colibris et de quelques partenaires. Puis ensuite il y a Cinéma haut, les producteurs qui sont Guillaume Parent et Mathieu Warter qui ont surtout cherché de l’argent, ils en ont trouvé. Nous sommes produits par Orange, par le distributeur Memento et les Editions de Montparnasse qui vont sortir le DVD. C’est une production ‘pas très riche’ qui s’est mise en place une fois que le film était tourné. Pour l’instant, ils ne savent pas que j’existe à mon avis (rires)… [Vu l’accueil dithyrambique du film dans les avants-premières depuis un mois, c’est chose faite à notre avis!;-) ndlr]. Ils doivent penser que je suis tellement insignifiante que cela ne vaut pas la peine de m’empêcher de faire mes trucs…
Catherine : En voyant ce film, je me suis dit : Mais comment est-ce possible qu’il ne soit pas interdit, déjà, d’office, d’emblée ? Coline Serreau : Mais c’est peut-être ce qui va se passer… je ne sais pas ! (Rires). Pour l’instant, ce n’est pas interdit… Les avant-premières sont blindées de gens. Les gens prennent quand même ça en pleine poire, mais ils sortent très heureux.
Catherine : Oui, je trouve que c’est très positif à la fin, comme tous vos films. Vous êtes quelqu’un comme ça. Coline Serreau : Ce n’est pas mortifère. On sort de là on se dit, bon, on peut faire des trucs. [des solutions pour agir sont proposées sur le site du film ndrl].
Catherine : Pensez-vous que ce film va mettre un pavé dans la mare ? Il y a de gros enjeux, non ? Coline Serreau : Je ne sais pas , j’espère… Il y a des gens qui me disent “Je suis tombé du douzième étage“.
Catherine : A votre avis, le pouvoir du consommateur passe-t-il d’abord par le porte-monnaie ou par la carte d’électeur? Coline Serreau : Et bien certainement pas par la carte d’électeur, ça c’est sûr! Peut-être par le porte-monnaie, mais il passe surtout par l’action… vers l’autonomie. Pas seulement par les choix d’achats. Comme dit Pierre Rabhi (ça c’est vraiment très fort dans le film) : “Le premier acte de résistance, c’est de faire son jardin”. Comme ce n’est pas possible pour tout le monde, il faut se mettre en AMAP, ou avec les paniers paysans… Ou, enfin faire un vrai pont entre le paysan et le consommateur. En passant par-dessus toute la sphère affairiste comme on dit. Et là, c’est le premier acte vraiment émancipateur qui met un sacré bazar dans la fourmilière…
Catherine : Et vous, Coline, est-ce que vous cultivez votre jardin ? Coline Serreau : Je n’ai pas l’habitude de parler de moi personnellement. Et surtout pas de me poser en exemple. Je ne suis pas un bon exemple, je vis les mêmes contradictions que les autres, je ne me pose absolument pas en exemple. J’ai une voiture ; probablement que je ne devrais pas en avoir, mais je ne pourrais pas m’en passer pour des tas de raisons. Il m’arrive bien évidemment de prendre l’avion. Je ne fais que des bêtises. Mais quand on changera tous, je changerai avec. Je ne suis pas un exemple et je ne veux surtout pas en être un. Donner des leçons aux gens, c’est pas mon truc, ça. Parce qu’après tout, on n’a pas encore toutes les solutions. On en voit certaines émerger. Mais ce qui est extraordinaire dans la société civile, quand les nécessités sont grandes et commencent à tirailler le corps social, les gens trouvent des idées. C’est dans la société que les solutions apparaissent. Nous, dans le film, nous montrons les solutions trouvées, mais nous ne disons pas C’Est la solution. Il y en a plein des solutions, autant que de lieux. C’est varié, c’est divers, c’est la biodiversité. Pour chaque terroir, pour chaque histoire, parce que chaque pays à son histoire politique aussi, il y aura des solutions différentes mais qui tendront toutes vers la même chose qui est de respecter la terre pour pouvoir se respecter soi-même. Pour pouvoir manger correctement et vivre dans un système gratuit. La terre, quand elle est bien cultivée, elle donne gratuitement. En abondance. Pas besoin d’argent pour que cela fonctionne… Des animaux, avec leur fumier, des arbres et des haies, des choses qui poussent. Qui sont là… Une microbiologie des sols correcte. Tout ça, c’est là…
Catherine : Est ce que cette gratuité, qui peut fonctionner en Afrique ou en Inde, comme on le voit dans le film, peut aussi fonctionner en Europe ou aux USA ? Nous sommes dans des sociétés de profit, de monopoles, de lobbying… Coline Serreau : La terre produit des aliments de façon gratuite, si on le veut. Il faut s’en occuper, bien sûr, et ça c’est du travail, ce n’est pas de l’argent. Contre ce travail, elle vous donnera gratuitement. Nul besoin d’acheter des semences. Enfin, si on vous le permet. Et c’est là où il faut reprendre les armes et les outils de production que sont les semences, que sont les terres, que sont les animaux. Si on continue à nous les confisquer, là il va falloir se bouger.
Catherine : L’écologie est parfois perçue comme un retour en arrière… Ce documentaire est-il recevable pour la majorité des gens, pas encore ou peu sensibilisée ? Peut-on le montrer aux enfants, selon vous ? Coline Serreau : Moi, j’appelle ça un retour en avant. (Rires)… Oui, ce film est assez drôle, on ne s’ennuie pas. On apprend des choses, on voit des choses marrantes, on voyage. Ce n’est pas construit comme un pensum désespéré. Au contraire ! C’est aussi un film de fiction presque; avec des tas de personnages, des tas de lieux passionnants. C’est un film que j’ai fait pour le grand public, ça c’est sûr. Les réactions aux projections sont très bonnes. Plus on est dans le grand public, plus elles sont bonnes. Un public d’avant-première, il applaudit à tout rompre. Et les enfants, bien sûr. Bon, l’image du cochon à qui on coupe la queue… mais sinon, oui, c’est un film pour tout public.
Catherine : Quelle suite aimeriez-vous donner à ce documentaire ? Coline Serreau : Il y a normalement 6 films d’une heure et demi. Il y a 170 heures de rushes et là le film ne fait qu’une heure cinquante deux. Donc, il y a une réserve de choses formidables qui sont déjà montées d’ailleurs. Alors, dans le DVD on mettra beaucoup de bonus, et puis aussi, on pourra continuer si le film marche; et mettre d’autres solutions; le livre qui va paraître chez Actes Sud reprendra tous les entretiens en beaucoup plus long. Avec des sites, des liens pour agir. Il faut que ça amène à l’action.
Catherine : Comment envisagez-vous la vie du film après sa sortie cinéma. Allez-vous le montrer dans des écoles, par exemple ? En accès sur Internet ? Coline Serreau : Ah oui! C’est déjà comme ça. Alors, pour l’accès sur Internet, il faut respecter la hiérarchie des médias, il doit vivre sa vie en salle. Mais dans six mois, il sortira en DVD. C’est le public qui fait d’abord exister un film. Il faut qu’il y ait beaucoup d’entrées.
Catherine : Et à l’étranger ? Coline Serreau: Je vais faire une voix off , car je suis bilingue avec quelques sous-titres. Il sortira bientôt.
Catherine : Pour terminer… Votre film parle beaucoup des femmes, de la terre mère, de la matrice, de l’essence de toute chose. Qu’aimeriez-vous dire aux femmes aujourd’hui ? Coline Serreau: Ah mais j’en suis une… Et bien déjà, qu’elles ne se laissent pas marcher sur les pieds. Des choses très simples… Qu’elles aient un salaire équivalent à celui des hommes qui font le même boulot qu’elles. C’est 30 % la différence on peut déjà se mettre ensemble et se bagarrer pour ça; des choses très concrètes.
Catherine : Où en est le féminisme aujourd’hui pour vous ? Coline Serreau : C’est très complexe de parler de cela dans l’abstrait. Le féminisme ça se décrit, ça se définit. Je dirais que les forces de déséquilibre entre les hommes et les femmes n’ont jamais été aussi violentes, que cela va se rééquilibrer, c’est obligé parce qu’on ne peut pas se couper comme ça de la moitié de l’humanité. Mais que ça peut prendre… Il y a toute sorte de gens… il ne faut plus que ce soit “Une femme est un homme comme un autre” [Pour les plus jeunes : slogan du MLF dans les années 70, ndlr]. Une femme N’EST PAS un homme comme un autre. Il faut qu’on prenne en considération cette différence et qu’on n’essaie pas de la gommer. Ces forces-là, contre ce déséquilibre qui tiraille le monde, elles sont en marche, c’est comme un mouvement de profondeur dans la terre. On ne peut pas l’arrêter. En gros, ça avance… on a été dans des situations très difficiles ces dernières années, car comme on s’approche du pouvoir de plus en plus maintenant, on le prend… Et on le prend sans aucun état d’âme, on commence à devenir beaucoup plus “dangereuses“. Donc on est moins gentil avec nous, il n’y a plus cette bienveillance qu’il pouvait y avoir au départ, quand j’ai commencé à faire des films… “Les petites jeunes qui font des films”… C’était SYMPA. Voilà… Maintenant, il y a une véritable entreprise de déconsidération, les forces réactionnaires masculines sont à l’œuvre… mais toute la gent masculine n’est pas comme cela, et il y a aussi beaucoup de femmes qui sont “collabo” de ce système. De toute façon, cela ne pourra pas durer comme ça. Il est plein de contradictions ce système. Il y a des filles qui disent “oh moi je ne suis pas féministe, bla-bla-bla” mais elles ne se rendent pas compte qu’elles ont plein de comportements qui sont des comportements d’émancipation. Elles ne le savent même pas elles-mêmes et c’est tant mieux comme ça! ça avance…. Avec des soubresauts et des moments difficiles pour nous… Mais… Pour eux aussi !
Catherine : Le féminin peut-il changer le monde ? Coline Serreau : Pas le féminin, l’équilibre! Un équilibre retrouvé. Mais c’est vrai que nous les femmes, dans nos gènes, on est quand même beaucoup plus axées sur le ‘faire vivre’ plutôt que sur la spoliation, destruction, vol. Dans l’état actuel de dégradation du monde, nos forces sont très utiles. Elles seront les forces réparatrices principales, disons… Mais, après ça peut encore changer. Quand les choses se rééquilibrent, il ne faut pas qu’on devienne des freins non plus. Parce que dès qu’on est dominant, on devient un frein, donc voilà, ça tournera, ça continuera.
Catherine : On voit tous les sourires à la fin du film. Vous êtes optimiste Coline ? Coline Serreau : Très ! Oui. Parce que je suis lucide (rires). Non, pas de raison de sombrer dans la dépression. Il y a eu d’autres problèmes à d’autres moments dans l’histoire de l’humanité, on les a réglés; il faut passer cette mauvaise passe qui est une maladie infantile comme une autre. On va la passer.
Catherine : Une maladie qui dure depuis trente ans… Une longue traversée du désert ? Coline Serreau: Cinquante ans… Bon, ce n’est pas beaucoup à l’échelle de l’humanité. Un bouton de fièvre. On le passera ce cap. Comme le patriarcat : c’est deux mille ans dans l’histoire ! C’est une minute à l’échelle du temps.
Catherine
catherine@ecoloinfo.com

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