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vendredi 28 août 2009

Démocratie


L’important c’est de participer
(photo: 500 élus des 42 CLD Rhône-Alpes, ici à Charbonnières les Bains).
Haro sur Ségolène Royal, ses formules dites creuses, son « citoyen expert » et autres « démocratie participative » destinés à masquer une supposée incompétence ! Pourtant, la démocratie participative a suscité l’espoir d’une grande partie de l’opinion, lassée de la suffisance de la classe politique, avide d’expression et en quête d’une autre conception de la politique. Alors, gadget à la mode, utopie, ou fil rouge d’une régénération du politique ?
Si l’on en reste aux seuls forums citoyens, conférences de consensus, conseils de quartiers et même référendums locaux, les procédures de consultation des citoyens s’en trouveront certes améliorées, mais rien n’aura vraiment changé. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose... En revanche, prendre la démocratie participative au sérieux et au pied de la lettre peut donner un tout autre sens à la politique. Faut-il rappeler que la démocratie est tout à la fois une méthode de participation au gouvernement et un projet politique toujours inachevé ? Participer, c’est faire valoir un avis, bien sûr, mais plus encore s’informer, apprendre, comprendre, écouter, échanger, discuter, argumenter, s’exprimer, négocier, délibérer... bref, « prendre sa part » au quotidien. Autant dire que cela ne s’improvise pas et que l’on est très loin de la simple démocratie d’opinion, aussi versatile/inconsistante qu’influençable, ou d’une citoyenneté dont l’expertise se limiterait aux cages d’escalier. Une démocratie participative digne de ce nom suppose un citoyen suffisamment éclairé pour contribuer à la construction de l’intérêt général au plan local, mais aussi national ou européen. Cela passe nécessairement par des formes d’organisation pérennes. Et plus particulièrement par les organisations associatives qui s’en fixent l’objectif. Elles ne manquent pas, elles sont même chaque jour plus nombreuses et concernent de plus en plus de Français (1 sur 2) qui les plébiscitent régulièrement du point de vue de l’animation de la vie démocratique et de l’intérêt général justement.
Un très récent sondage indique qu’ils sont 58 % à préférer un responsable d’association plutôt qu’un responsable politique (37 %) pour « proposer des solutions en faveur de l’intérêt général ». Logiquement, ils sont 65 % à estimer que la place accordée aux associations par les pouvoirs publics est insuffisante. Dans ces conditions, le premier devoir politique consiste à créer un contexte favorable à cette expression associative et à en tenir compte. En commençant par honorer les engagements de l’Etat et en respectant la charte des engagements réciproques signée en 2001, qui préconise un devoir de partenariat aux différents échelons de la décision publique. C’est peu dire que l’on est loin du compte et qu’un authentique dialogue civil, à côté du dialogue social avec les syndicats, reste à instituer. Il s’agit de passer d’une culture de la consultation discrétionnaire à une culture de la proposition nécessaire. S’il est parfaitement légitime que les élus de la nation aient le dernier mot, il n’est pas absurde, en démocratie, que les acteurs sociaux avancent les premiers.
Comme l’écrivait déjà Tocqueville dans sa « Démocratie en Amérique » : « Les associations n’ont pas le droit de faire la loi, mais ont le pouvoir d’attaquer celle qui existe et de formuler d’avance celle qui doit exister. » Dans cet esprit, une mesure phare consisterait, par exemple, à faire du Conseil économique et social rénové la deuxième Chambre de la République, en lieu et place d’un Sénat hors d’âge, avec droit d’initiative sur l’ordre du jour de l’Assemblée nationale...
Par définition, la démocratie participative s’enracine dans le quotidien et dans l’action. Le lien social et les valeurs démocratiques s’éprouvent dans l’action en faveur de l’éducation mutuelle, de la santé, du bien-être, de la prévention des risques, de la protection de l’environnement, de la lutte contre les violences, etc. Tous domaines dans lesquels les associations jouent un rôle majeur à travers une économie civique de l’intérêt général. Or, ces besoins en matière de santé, de formation, de services à la personne, par exemple, se développent à un rythme soutenu et sont au coeur d’une croissance nouvelle. Comment y répondre, face à un service public exsangue qui touche ses limites, et si l’on refuse la marchandisation de biens publics aussi fondamentaux, à brader ce qui fait l’humanité aux seules lois du marché ? Il y a là un défi majeur auquel nos sociétés sont confrontées et que la démocratie participative peut contribuer à relever, notamment par l’action associative.
Entre l’Etat et le marché, il y a l’association. Ce que pensaient déjà les inventeurs du mot « socialisme », tel Pierre Leroux dans la France de 1848, en posant les premiers jalons de la démocratie participative et de l’associationnisme. Suivre ce fil, auquel Ségolène Royal semble plus sensible que ses prédécesseurs, entraîne des choix politiques décisifs. Notamment le maintien d’un certain niveau de fiscalisation et de redistribution pour financer ces actions, sécuriser les associations, créer de nouvelles fondations d’économie mixte, développer le volontariat, le rendre cumulable avec une activité salariée afin que chacun soit clairement incité à participer, etc. En ce sens, le regard se tourne plutôt vers l’Europe du Nord (Danemark, Suède) - ­où l’on est souvent fier de payer l’impôt, de financer la solidarité et les dispositifs participatifs - ­que vers le modèle anglo-saxon.
Encore que l’on oublie toujours de mentionner que le succès de la lutte contre le chômage en Grande-Bretagne tient autant au million d’emplois créés dans la fonction publique depuis 1997 et aux aides massives en direction des charities (associations caritatives), qu’aux recettes libérales.
Entre les forums participatifs d’un jour et une démocratie participative au long cours, il y a un grand écart. Il est possible de le combler, même si cela ne garantit nullement la victoire immédiate. A défaut, il est important de prendre date et d’offrir un recours face aux dérives autoritaires qui se préparent.
Roger SUE
Sociologue, Roger Sue est professeur à la faculté des sciences humaines et sociales, Université Paris 5 - Sorbonne.
Auteur, entre autres, de :
- Renouer le lien social. Liberté, égalité, association, Paris, Editions Odile Jacob, 2001 -La Société contre elle-même, Fayard, 2005.
- Quelle Démocratie voulons-nous ? Pièces pour un débat (en collaboration), Paris, Éditions La Découverte, 2006.
- Gouverner par la peur (en collaboration), Fayard, 2007

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